Au gré de forteresses médiévales, de légendes anciennes et de plats typiques, des villages préservant des traditions millénaires surplombent le lac Trasimène, dans la province de Pérouse. Des endroits parfaits pour qui veut faire une pause en se plongeant dans des atmosphères intemporelles.

MARIA CARLA ROTA / MERIDIANI

Au cours des chaudes soirées d’été ou du froid hiver, si l’on s’arrête pour écouter en silence, on a l’impression d’entendre une complainte dans l’obscurité : c’est le chant mélancolique de la nymphe Agilla, qui pleure son amour perdu pour Trasimène, le fils du roi étrusque Tirreno. Selon la légende, le jeune homme s’arrêta pour se baigner dans le lac qui porte aujourd’hui son nom : elle, qui l’épiait recouverte de joncs, en tomba éperdument amoureuse et l’attira vers elle, mais il se noya, et son corps ne fut jamais retrouvé. Selon une hypothèse plus réaliste, ce miroir d’eau fut ainsi nommé parce que ceux qui venaient du nord devaient, pour y accéder, franchir un col que les Romains désignaient comme le mont Imeno.

Si les rives septentrionales du bassin, tout comme ses rives orientales, sont caractérisées par des collines et des fortifications, au sud et à l’ouest, elles se font plus douces. Avec ses 128 km2, le lac Trasimène, protégé par le Parc Régional du même nom, est le quatrième bassin italien en termes de surface, après le lac de Garde, le lac Majeur et le lac de Côme. Les Ombriens le considèrent comme leur mer, en partie grâce à ses nombreux établissements balnéaires bien équipés, aux différents sports aquatiques que l’on peut y pratiquer, et aux agréables promenades en bateau pour rejoindre les trois îles appelées Maggiore, Minore et Polvese. Dans les vastes cannaies, des nuées d’oiseaux trouvent une idéale aire de repos, d’hibernation ou de reproduction : à côté de rapaces tels que le hibou grand-duc, le circaète Jean-le-Blanc ou le balbuzard pêcheur, l’on repère de nombreuses espèces de la faune aviaire migratoire, parmi lesquelles le héron, les cygnes sauvages, les cigognes, les mouettes, les grèbes et les foulques macroules.

Depuis l’aube jusqu’au coucher du soleil, en fonction de la lumière, les eaux, jamais plus profondes que 6,5 mètres, revêtent d’infinies nuances de bleu, les mêmes qui fascinèrent jusqu’au peintre Vannucci, dit le Pérugin, né en 1446 à Città della Pieve, l’un de ces villages accueillants situés à des distances plus ou moins rapprochées, qui encerclent ce bassin né il y a trois millions d’années de l’affaissement d’une vaste zone rapidement remplie par des eaux alluviales. 

Parmi eux, Castiglione del Lagoqui se trouvait, au temps des Étrusques et des Romains, sur une île ensuite devenue promontoire du fait du dépôt continu de sédiments. La vue d’ensemble que l’on peut admirer depuis le Palais ducal (aussi appelé Palais della Corgna) sur tout le lac Trasimène, est spectaculaire. À l’origine propriété de la famille Baglioni, nobles Pérugins, il fut transformé en demeure aristocratique par Ascanio della Corgna, suite à la concession de la part du pape Jules II de l’État de Castiglione à cette importante famille, à la charnière des XVIe et XVIIe siècles. Un passage couvert le relie à la forteresse de la Rocca del Leone en surplomb du lac, l’un des plus beaux exemples de l’architecture militaire ombrienne du Moyen Âge : en forme de pentagone irrégulier, avec cinq tours et trois portes, elle est dominée par un donjon triangulaire haut de presque 30 mètres, d’où la vue s’étend à 360 degrés.

Laissant derrière nous le village, on longe le lac vers le nord jusqu’à rejoindre Tuoro sul Trasimeno, célèbre pour la victoire historique d’Hannibal sur les Romains, mais aussi pour sa tour « Torta », une tour de Pise miniature érigée au XIe siècle pour défendre l’ancien château de Vernazzano, auquel on accède en parcourant un sentier de 2 km.

Après cette promenade facile, on peut faire une étape culinaire dans l’un des nombreux restaurants qui se trouvent le long du quai ou dans les rues du centre de Passignano sul Trasimeno, toujours sur la rive septentrionale du lac. Ce village de pêcheurs typique, animé par de nombreux événements, offre aussi la possibilité de faire du trekking ou de l’équitation dans la nature environnante : sa position géographique en fait un lieu de passage presque obligé entre l’Ombrie et la Toscane, raison pour laquelle son nom originel est Passus Jani (le col de Janus), le dieu mythologique des portes.

L’on arrive ainsi à Magione, sur le versant oriental du lac, en face de Castiglione : ce village, qui compte de nombreux hameaux, est dominé par le château construit entre 1160 et 1170 et conçu comme un hôpital par les Hiérosolymitains, qui y accueillaient les pèlerins se rendant en Terre Sainte. Au XIVe siècle, les Chevaliers de Malte le transformèrent en une abbaye fortifiée. C’est ici qu’en 1502, comme le raconte Machiavelli dans Le Prince, eut lieu une conjuration historique fomentée par le cardinal Orsini à l’encontre de César Borgia, appelé Il Valentino, qui survécut cependant et se vengea en faisant étrangler ses ennemis.

L’on peut aujourd’hui visiter la forteresse, parfaitement conservée, qui accueille également des événements et des dégustations guidées.

Depuis le village voisin de Monte del Lago, dominé par un autre château imposant, le château de Zocco, l’on peut profiter, au coucher du soleil, d’un panorama fantastique sur le lac Trasimène qui risqua d’être asséché après l’Unité de l’Italie : les entreprises de grands travaux espéraient s’enrichir avec la vente et la location des terrains, alors recouverts d’eau, qui allaient émerger grâce à la bonification. Mais l’opération fut bloquée sur l’initiative du sénateur Guido Pompili, originaire de la région dont la beauté servit de décor à son histoire d’amour tragique et passionnée avec Vittoria Aganoor, poétesse italienne d’origine arménienne.

En nous déplaçant encore un peu plus au sud, nous nous éloignons des rives immédiates du lac mais nous traversons des bourgs qui font tout de même partie du territoire du Trasimène. À Città delle Pieve, il faut ainsi faire une double étape sous le signe du Pérugin : à l’oratoire de Santa Maria dei Bianchi, pour admirer l’Adoration des Mages, et au Museo Civico Diocesano de Santa Maria dei Servi où est exposée la Déposition de la Croix qu’il a réalisée à un âge mûr.

La configuration architecturale et urbanistique des villages voisins de Paciano et Piegaroreflète dans les deux cas l’histoire passée, quoique de manière différente : le premier a conservé en grande partie intacte sa structure d’origine médiévale articulée sur trois rues parallèles reliées entre elles par des ruelles perpendiculaires, auxquelles l’on accède grâce à trois portes. Le second, lui aussi construit sur une position stratégique pour défendre le territoire, conserve les vestiges des anciens fours des verreries en activité pendant au moins sept siècles, dont les productions sont exposées au musée dédié à cet art.

Quant à Panicale, perché sur le mont Petrarvella, il constitue une terrasse naturelle sur le lac Trasimène : l’église Saint-Sébastien abrite une œuvre de Raphaël, la Madonna in trono con angeli musicanti, et une du Pérugin, qui représente le célèbre martyr du saint. Dans le décor de ce dernier tableau, daté de 1505, on aperçoit le lac Trasimène tel qu’il était à l’époque, tandis que les archers et les arbalétriers semblent presque être des danseurs plutôt que des bourreaux, pendant qu’ils évoluent, gracieux, sur le beau sol à carreaux roses sans doute très semblable au sol d’origine de l’édifice, de façon à créer une illusion d’optique de grande profondeur. Selon une croyance locale, le Pérugin, connu pour sa cupidité, n’ayant pas reçu la somme convenue pour son tableau, y crayonna 13 « P », pour exprimer sa colère sans équivoque : « Pietro Perugino Pittore Pinse Pittura Porco Prete Panicalese Paga Presto Prezzo Pattuito Pittura ». Le site de la commune signale toutefois que ces lettres ne furent jamais découvertes, pas même après les restaurations minutieuses de 1984, laissant le récit enveloppé de mystère. Après avoir vécu à Rome, à Florence et à Pérouse, le divin pittore mourut de la peste en 1523, tandis qu’il réalisait la Madonna col bambino pour l’oratoire de l’Annunziata à Fontignano, non loin de ces terres qu’il aimait tant reproduire dans ses tableaux.

M.C.R.