Principalement cultivé dans le nord de l’Italie, le riz est cuisiné dans toute la Péninsule. Si le risotto est le plat le plus réputé et l’un des piliers de la tradition culinaire italienne, le riz se prête aussi à de nombreuses autres préparations, notamment dans la street food méridionale mais aussi dans des versions sucrées.

ALESSANDRA PIERINI

Saviez-vous que l’Italie possède les plus grandes rizières d’Europe ? La riziculture s’y est développée principalement au nord, dans la partie du territoire qui longe le tracé du Pô : le Piémont compte ainsi pas moins de 115 000 hectares de rizières, dont une grande partie dans la province de Verceil, et la Lombardie, aujourd’hui largement reconnue comme étant le « berceau du riz », un peu plus de 100 000, avec 84 000 hectares pour la seule province de Pavie.  Ces deux régions représentent à elles seules plus de 90 % de la production italienne. Le reste de la production de la Bassa Padania se concentre en Vénétie, surtout dans la province de Vérone, et dans le delta du Pô (Émilie-Romagne). L’on peut y admirer au printemps ce que l’on appelle « il mare a quadretti », la mer en carrés de la Plaine : les rizières submergées forment alors un gigantesque « puzzle aquatique » qui s’étend sur des kilomètres.

Si la plaine du Pô concentre la très grande majorité de la production de riz italienne,  les rizières sont aussi présentes dans d’autres territoires. Le riz est ainsi cultivé dans la Maremme toscane. En Calabre, 600 hectares de rizières s’étendent entre les communes de Cassano allo Ionio et Corigliano. Le riz le plus célèbre de cette région est celui de Sibari, cultivé dans la plaine du même nom et destiné principalement à la consommation locale. En Sicile, dans la plaine de Catane et dans l’arrière-pays d’Enna, la culture du riz a été relancée après avoir été abandonnée pendant des siècles. Quant à la riziculture sarde, qui occupe environ 3 500 hectares dans les provinces de Cagliari, elle fournit un riz de très grande qualité.

L’univers du riz italien est en constante évolution, et il gagne de la place aussi bien dans les cuisines des grands restaurants que dans celles des familles. Dans les rayons des magasins, l’offre est de plus en plus riche, avec des variétés particulières comme le riz Venere, à grains noirs, le Selenio, idéal pour les plats aux saveurs asiatiques, ou l’aromatique Apollo, qui complètent la gamme des classiques et indispensables Carnaroli, Vialone Nano et Arborio de la plaine du Pô.

Apprécié de tous aujourd’hui, le riz occupe un rôle central dans la cuisine italienne, en particulier dans certaines régions du pays où il fait partie intégrante des traditions. Cependant, le riz n’a pas été tout de suite l’aliment très répandu que nous connaissons. Ce n’est qu’au fil des années qu’il a trouvé une place de choix dans les menus italiens, devenant un ingrédient clé non seulement pour les plats régionaux, mais aussi pour la cuisine nationale et plus populaire.

Les Grecs et les Romains de l’Antiquité connaissaient déjà cette céréale qu’ils utilisaient exclusivement pour ses propriétés médicinales ou comme cosmétique. Ce n’est qu’au Moyen Âge que le riz commença à être employé comme ingrédient culinaire, mais uniquement pour des préparations sucrées. C’était alors un produit d’importation, introduit en Italie vers le IXe siècle, via la Sicile et l’Espagne musulmane, grâce aux marchands ; les arabes en maîtrisaient en effet la culture depuis des siècles. Aliment rare, précieux et coûteux, comme le sucre, la cannelle et les clous de girofle avec lesquels il était souvent préparé, le riz était surtout destiné aux classes les plus aisées, pour agrémenter des banquets raffinés, ou bien comme remède pour les malades. Il était vendu par les apothicaires, tout comme les préparations médicinales et d’autres produits exotiques.

Le Maestro Martino, le plus célèbre cuisinier de la Renaissance, le recommandait dans l’une de ses célèbres recettes de dessert, la torta di riso, un gâteau à base de riz, de lait animal ou de lait d’amande, de farine d’amande et de sucre. Une préparation qui ne comportait que des ingrédients blancs, à l’image du blanc-manger, un entremets très à la mode à l’époque. Cette association d’ingrédients, considérée comme très bénéfique pour la santé, était également recommandée dans divers manuels médicaux, notamment le Tacuinum Sanitatis, un traité arabe sur la santé datant du XIIIe siècle, très populaire en Italie grâce à sa traduction en latin. Aujourd’hui encore, mangiare in bianco, « manger blanc », en particulier le riz, est synonyme d’une alimentation peu assaisonnée, sans épices, destinée à rétablir la santé gastro-intestinale.

La riziculture a commencé à se développer en Italie au XVIe siècle, dans les zones marécageuses du Piémont et de la Lombardie baignées par le fleuve Pô. À partir de cette période, le riz – qui était un aliment destiné aux classes aisées – est entré dans la liste des aliments permettant d’apaiser la faim des paysans. Sa consommation s’est encore accrue au cours du XIXe siècle et la zone cultivée s’est étendue à l’Émilie-Romagne et à la Vénétie, où l’on a surtout planté ce que l’on appelle le riso nostrale, à grains petits et ronds. Il faut attendre 1925 pour voir arriver de Californie la variété de riz à l’origine des riz actuels pour le risotto qui fait la renommée de l’Italie : la variété Lady Wright, à gros grains, a en effet été croisée avec des variétés autochtones pour créer des riz plus raffinés et plus résistants aux maladies. Entre la fin du XIXe et le milieu du XXe siècle, la préparation du riz s’est également répandue dans les régions de production grâce aux mondine, les travailleuses saisonnières employées dans les rizières, qui recevaient 1 kg de riz par jour pour compléter leur piètre salaire.

Les rizières ne se limitaient pas à la production de riz, elles offraient autrefois d’autres types de récolte, ce qui faisait d’elles un écosystème agricole très riche. L’on pouvait y pêcher des poissons, y capturer des grenouilles et, après la récolte du riz, les oies et les canards qui trouvaient leur nourriture dans les champs des rizières fournissaient ensuite des œufs, de la viande et des plumes. En outre, le gibier migrateur était abondant. Aujourd’hui, de tous ces bénéfices, il ne reste pratiquement plus que le riz, car l’utilisation de produits chimiques et de machines agricoles a remplacé le travail manuel des mondine, empêchant la survie de la faune, sauf dans certaines oasis naturelles protégées, telles que la Gattinara et la Baraggia, dans le nord-ouest du Piémont.

Grâce à sa polyvalence et à sa diversité, le riz continue d’occuper une place centrale dans la cuisine italienne, c’est un ingrédient aux mille facettes utilisé dans une large gamme de préparations. Dans la cuisine du nord, on le trouve principalement sous forme d’antipasti, de salades froides, de tomates farcies, de soupes, de risotti ou comme farce dans les tartes salées et les raviolis. Dans la cuisine du sud, en revanche, il est surtout utilisé frit, dans des timbales dont l’origine remonte au XIXe siècle ou comme plat unique, à l’image du sartù de Naples, de la tiella de Bari ou de l’arrosu casteddaju de Sardaigne, une préparation compacte à base de riz cuit dans de la farine de pois chiche. Mais c’est surtout dans les desserts qu’il donne le meilleur de lui-même et que sa texture délicate et sa douceur sont particulièrement exaltées.

Dans toutes les cultures, le riz symbolise la fertilité, le bonheur et l’abondance. C’est pourquoi, lors des mariages, l’on jette du riz en guise de vœu de prospérité pour les mariés. Dans le sud de l’Italie, c’est d’ailleurs la femme la plus âgée de la famille qui jette du riz sur la future mariée et entre les murs de la maison, en signe de bénédiction pour le passage vers une nouvelle vie.

TROIS FAÇONS DE FRIRE LE RIZ

Supplì

Ces croquettes typiques du Latium sont agrémentées d’une sauce à la viande, farcies de mozzarella et frites. Le nom dérive du mot français surprise, et la surprise se trouve dans le cœur de fromage filant, ce qui fait dire à tous les Romains qu’un vrai suppli doit être al telefono, c’est-à-dire avec un fil qui se forme lorsque la croquette ovale est coupée en deux, évoquant le fil du combiné des anciens téléphones.

Arancino/Arancina

La plus connue de toutes les boulettes croustillantes de riz est sicilienne, c’est aussi la plus sujette à discussion : à Messine et à Catane, à l’est de l’île, elle a la forme d’une poire, tandis qu’à Palerme, elle est ronde. Les variantes sont nombreuses, avec ou sans sauce, avec des légumes, des pistaches, du fromage.

Crispelle o crispeddi di riso

Également d’origine sicilienne, ces préparations font partie de la grande famille des beignets de riz sucrés, que l’on trouve dans presque toutes les régions. Aussi appelés zeppole di riso, ces beignets sont notamment préparés le 19 mars, jour dédié à saint Joseph, qui coïncide en Italie avec la fête des pères. Le riz, cuit dans du lait, mélangé à du sucre, des écorces d’orange et de citron, est façonné en petits cylindres frits dans de l’huile puis saupoudrés de sucre.

LE RISOTTO

Selon une légende, le risotto doit sa paternité à un cuisinier sicilien un peu maladroit qui, ne parvenant pas à former des arancini, aurait servi le risotto sous sa forme actuelle. En réalité, la technique de cuisson du risotto est née au début du XVIe siècle de l’exigence de préparer une soupe de riz sans se tromper sur la quantité de liquide : au lieu de mélanger l’eau (ou le bouillon) et le riz dès le départ, on a commencé à cuire le riz en ajoutant le liquide petit à petit pendant la cuisson, contrôlant ainsi la quantité requise.

Le risotto se mange à la fourchette, mais le chef Gualtiero Marchesi (1930-2017) eut l’idée de le servir avec une cuillère en or et, depuis lors, l’habitude de le manger avec une cuillère est restée, même si elle va à l’encontre des bonnes manières. À la maison, le risotto est généralement servi dans une assiette creuse, peut-être parce qu’il était autrefois considéré comme une soupe ; aujourd’hui, les restaurants le servent dans des assiettes plates, étalé de manière à ce qu’il occupe toute la base de l’assiette.

C’est une préparation à réaliser avec soin, attention, dévouement et expérience : seule la pratique permet d’obtenir un résultat parfait. Le risotto est impatient, il n’attend pas, il veut être dégusté bien chaud. Cependant, il sait s’adapter au changement : s’il vous reste du risotto, le lendemain, avec quelques œufs, vous pouvez le transformer en savoureuses croquettes à paner et à frire, ou lui donner une délicieuse croûte en le passant à la poêle avec une noisette de beurre.

Le choix du riz est fondamental. L’Arborio, typique du Piémont, libère plus d’amidon que les autres, ce qui donne des risotti plus crémeux et plus rustiques, comme celui à la saucisse et aux champignons, au vin rougeBarolo, au fromage Taleggio, aux poires et aux noix, à la betterave, au gorgonzola et aux oignons.

Le riz Carnaroli, plus long, cultivé principalement en Lombardie, possède une excellente tenue à la cuisson et donne des risotti bien égrainés, parfaits quand ils sont préparés avec des ingrédients tout aussi uniques, comme celui alla milanese, au safran et à la moelle ou alla certosina, avec des écrevisses, de la perche, des petits pois et des champignons, au champagne, aux fleurs de courgette, aux coquilles Saint-Jacques.

Le Vialone Nano, qui est davantage un produit de niche, a pour terre de prédilection la Vénétie. Le grain, plus petit, cuit un peu plus rapidement, reste plus compact et prend du volume. Il est principalement utilisé pour les soupes ou les risotti typiques de la région, avec des poissons et des légumes de printemps, comme les petits pois dans le risi e bisi, les asperges, les bruscandoli (jeunes pousses de houblon sauvage), la chicorée rouge de Trévise ou le gobie, un poisson typique de la lagune.

Le risotto Riso, oro e zafferano, inventé et servi pour la première fois en 1981 par le chef milanais Gualtiero Marchesi avec une feuille d’or posée sur un risotto jaune safran parfait, est devenu un mythe de la gastronomie italienne.

DESSERTS DE RIZ

Lorsque l’on évoque le riz dans les recettes italiennes, on l’associe rarement à un dessert. Pourtant, comme nous l’avons vu en introduction, les premières préparations à base de riz étaient agrémentées d’épices, de lait, de fruits secs, de sucre ou de miel. Dans plusieurs régions, on retrouve encore cette tradition qui remonte au Moyen Âge et à la Renaissance. On utilise principalement du riz Arborio ou du riz local, à grains ronds, avec une bonne tenue à la cuisson, ce qui permet d’obtenir une consistance molle et un peu collante.

Dans toutes les régions italiennes, on trouve des versions de riz cuit au lait, souvent associé aux châtaignes, qui rappelle les soupes de la tradition paysanne, chaudes et savoureuses, aujourd’hui plus souvent préparées dans une version sucrée et accompagnées de fruits secs ou cuits, d’épices ou de liqueurs parfumées.

Pour citer quelques exemples de gâteaux de riz plus élaborés, nous pouvons nous rendre dans la région des Marches où l’on prépare le Bostrengo, un gâteau composé d’un mélange de céréales et surtout de riz, de fruits secs et de raisins secs. En Émilie-Romagne, et en particulier à Bologne, on peut déguster la très parfumée torta di riso degli Addobbi, un gâteau de riz enrichi d’amandes et de fruits confits, ainsi appelé parce qu’il était préparé à l’origine pour la Festa degli Addobbi, la fête des décorations, qui avait lieu tous les dix ans pendant la période de Pâques et au cours de laquelle les étoffes les plus belles et les plus somptueuses étaient exposées sur les balcons.

Mais ma spécialité préférée – que je vous invite à goûter si vous passez par Florence – est le délicieux budino di riso. Traditionnellement consommé au petit-déjeuner, il s’agit d’un petit gâteau ovale de pâte brisée avec une farce à base de riz cuit dans du lait vanillé, des zestes d’orange et une crème pâtissière légère. Je pourrais me rendre dans la capitale toscane rien que pour ce délice !

A.P.