Si Agrigente est une ville qui porte en elle un héritage d’une extraordinaire richesse, ce n’est qu’en sortant de ses frontières que se révèle une Sicile encore plus populaire et authentique, faite de paysages enchantés, villages perchés et histoires qui semblent vivre dans les couleurs de chaque aube et crépuscule.

NICOLA FERRANTE

Canzone

Franco Battiato

SECONDO IMBRUNIRE

PORTO EMPEDOCLE

LE CŒUR DE LA LITTÉRATURE ET DE LA MER

Rares sont les lieux qui parviennent à concentrer autant d’âme que Porto Empedocle, petite ville qui conjugue le caractère laborieux d’un port et la poésie d’une terre qui a inspiré de grands écrivains. C’est ici qu’est né en 1925 Andrea Camilleri, l’inventeur du commissaire Montalbano. Sans surprise, le choix de situer nombre de ses romans dans le village fictif de Vigàta, en réalité la version romancée de Porto Empedocle, est un geste d’amour envers sa terre. En se promenant dans les rues du village, qui porte aujourd’hui officiellement le nom de Porto Empedocle Vigàta, l’on perçoit le lien profond qui unissait l’auteur et sa terre.

La statue de bronze de Camilleri, située Piazza Vittorio Emanuele, accueille les visiteurs presque comme un amphitryon. Dans son récit des aventures de Montalbano, Camilleri nous offre une description de la Sicile la plus authentique, celle qui se cache derrière les ombres du soleil brûlant et sous les ciels purs de son île. Porto Empedocle elle-même, avec son port et ses routes poussiéreuses, est une Sicile qui respire entre l’ancien et le nouveau. La ville, loin des lieux touristiques les plus connus, conserve un charme discret mais pénétrant, exactement comme les personnages des histoires de Camilleri. Mais ce n’est pas seulement un endroit pour les lecteurs passionnés : le port lui-même, avec ses activités quotidiennes, reflète une grande vitalité qui célèbre la saveur de la Méditerranée.

Porto Empedocle est aussi la porte vers l’un des sites naturels les plus célèbres de la Sicile : la Scala dei Turchi. Cette majestueuse falaise de marne blanche, sculptée par le vent et la mer, se dresse à pic sur le bleu de l’eau, créant un contraste saisissant. Les pirates, que l’on disait « turcs », trouvaient refuge dans ses criques, d’où son nom. S’y rendre au crépuscule est une expérience presque mystique : le soleil, tandis qu’il baisse à l’horizon, colore la roche de nuances roses et dorées, transformant chaque point de vue en un tableau naturel.

SANT’ANGELO MUXARO

UN VOYAGE DANS LA LÉGENDE

En quittant la côte et en se dirigeant vers l’intérieur des terres, on arrive à Sant’Angelo Muxaro, un petit village encastré au milieu des vertes collines et des vallées ondoyantes. Cet endroit est un concentré d’histoire : selon les spécialistes, ici se trouvait l’antique Camicos, la ville fortifiée construite par Dédale pour Cocalos, roi des Sicanes.

Les grottes sépulcrales, creusées dans la roche, témoignent d’une civilisation florissante déjà à l’époque préhistorique. Une visite du site archéologique permet d’admirer des vestiges de tombes à tholos, ces structures funéraires en forme de coupoles qui rappellent les tombes mycéniennes. Pour ceux qui recherchent une expérience immersive, les guides locaux, souvent descendants directs des familles paysannes du lieu, proposent des récits qui entrelacent l’Histoire et des légendes transmises oralement.

Le village, avec ses rues pavées et ses maisons de pierre, semble s’être arrêté dans le temps. Ici le rythme de la vie est lent et marqué par les saisons. N’oubliez pas de vous arrêter chez l’un des fromagers locaux, où il est possible de déguster le fromage de chèvre et de brebis produit selon des méthodes traditionnelles.

SAMBUCA DI SICILIA

PLUS BEAU VILLAGE D’ITALIE

Parmi les villages les plus charmants d’Italie se trouve Sambuca di Sicilia, décoré du titre de « Borgo dei borghi » en 2016. Situé sur les collines qui dominent le lac Arancio, Sambuca est un lieu où histoire, art et paysages se fondent dans un équilibre parfait.

Fondée par les Arabes autour de l’an 830 sous le nom de Zabut, en l’honneur de l’émir Al-Zabut, Sambuca di Sicilia conserve des traces évidentes de la domination arabe, surtout dans le quartier saraceno, un dédale complexe de rues étroites et maisons en pierre. Ne manquez pas le théâtre L’Idea, un petit bijou du XIXe siècle, et le Palazzo Panitteri, qui abrite un musée consacré à la culture locale et aux traditions vitivinicoles de la région. Le village est en effet célèbre pour son vin, et des caves proposent des dégustations de Nero d’Avola et de Grillo, accompagnés de saveurs typiques du territoire.

PALMA DI MONTECHIARO

LE CHARME DU GUÉPARD

Palma di Montechiaro est un lieu imprégné d’histoire et de littérature : la ville a été fondée en 1637 par Carlo Caro Tomasi, ancêtre de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, l’auteur du roman Le Guépard. Il y situa une grande partie des intrigues de son livre, lui donnant le nom de Donnafugata. La ville apparaît comme un lieu où passé et présent se croisent dans un jeu complexe de tradition et de transformation. Dans son célèbre roman publié à titre posthume en 1958 et rendu encore plus célèbre par le film homonyme de Lucchino Visconti de 1963 (le 5 mars 2025 est sortie sur Netflix une adaptation en série télévisée avec Kim Rossi Stuart, Saul Nanni et Deva Cassel, ndr), la ville se présente à la fois comme symbole de décadence mais aussi de résilience culturelle.

La phrase devenue proverbiale du prince de Salina, « Si nous voulons que rien ne change, il faut que tout change », est emblématique du roman et de la philosophie qui imprègne l’œuvre : une adaptation stratégique aux inévitables transformations pour préserver ses propres privilèges et son identité. Cette idée peut être étendue à toute la Sicile, un lieu où le passé glorieux se fond avec l’écoulement long du temps, et où le paysage et la culture témoignent d’une tension pérenne entre immobilisme et changement.

ANDREA CAMILLERI, LE COMMISSAIRE MONTALBANO ET L’ÂME DE LA SICILE

Costantino Muraca

Le centenaire de la naissance d’Andrea Camilleri n’est pas seulement un anniversaire, mais l’occasion de célébrer un homme qui a su raconter la Sicile avec une intensité, une ironie et une profondeur sans égales.

Écrivain, dramaturge, infatigable intellectuel, Camilleri a laissé une empreinte indélébile dans la littérature italienne et mondiale.

Comment oublier son Commissaire Montalbano, personnage désormais entré au panthéon des « grands » du roman policier ? Un enquêteur atypique, humain, cultivé, passionné de bonne cuisine et en permanence combattu entre son sens du devoir et son désir de fuir. À travers lui, Camilleri a construit un univers narratif dans lequel la Sicile n’est pas seulement un décor, mais un personnage à part entière : une terre de contradictions, de beauté, d’amertume et de poignante poésie. La Vigàta des romans, inspirée de sa ville, Porto Empedocle, nous conduit à travers ses ruelles ensoleillées, ses places grouillant de vie et ses plages dorées, des décors qui évoquent l’histoire et les traditions de l’île. Grigenti, l’Agrigente moderne, avec ses temples majestueux, et Caltanissetta, avec ses histoires de soufrières, sont d’autres lieux essentiels de ses récits. Sans oublier la mer, omniprésente et métaphorique, avec ses vagues qui murmurent des histoires anciennes et nouvelles.

Mais le génie de Camilleri ne s’arrête pas à Montalbano. Son immense production littéraire va de l’histoire au roman social, du théâtre au roman policier, toujours avec cette signature stylistique incomparable : une langue qui mélange l’italien et le sicilien, créant une pâte sonore capable de restituer le souffle et l’âme de son île.

C’était un auteur qui n’avait pas peur de prendre position, de dénoncer les injustices ni de raconter l’Italie de façon critique mais jamais cynique. Se rappeler Camilleri signifie lire et relire ses livres, se laisser transporter par le rythme de sa prose, par la chaleur de ses dialogues, par la sagesse qui se dissimule derrière chaque ligne. Cela signifie continuer à se plonger dans les ruelles de Vigata, dans les passions et les tristesses de ses personnages, dans ses histoires qui parlent de mafia et de résistance, de corruption et de dignité, d’amour et de perte.

Camilleri nous a enseigné que la littérature n’est pas seulement un divertissement mais un outil pour comprendre le monde. À l’occasion du centenaire de sa naissance, la meilleure façon de lui rendre hommage est de garder vivante sa voix, de nous laisser encore surprendre, émouvoir et interroger par ses livres. Parce que, comme il l’aurait dit lui-même, l’histoire ne s’arrête jamais : 

« Amunì, camurria! »*

*“allez, c’est reparti!”