Imaginez un instant, ces jours-ci, un père de famille italien au moment où il va se coucher. Pour ma part, j’imagine un rituel qui est à peu près toujours le même : vérifier que le gaz est éteint. Une fois, deux fois, dix fois, au risque, un jour, de vraiment le laisser ouvert. Ensuite, un coup d’œil à la serrure de la porte d’entrée, aux fenêtres. Et enfin, il va les voir, il entre dans la chambre des enfants. Il les regarde, les écoute : oui, ils respirent. L’un, plus rapidement, l’autre, par à-coups, comme secoué par de brusques tressaillements. Et il se demande ce qu’ils peuvent bien voir dans leurs rêves inaccessibles. Si différents des siens, alourdis par le poids des années.
Mais ce soir, dans cette pénombre un peu mystérieuse, c’est à lui que pense ce père de famille.
À Matteo Renzi. Le nouveau président du Conseil italien, le nouveau sauveur de la patrie. Il doit avoir des soucis, me direz-vous. Mais le fait est que ce père italien voudrait lui poser une question :
«Monsieur Renzi, savez-vous que vous avez entre vos mains la vie de mes enfants, de nos enfants ? Vous avez le pouvoir de changer leur existence, comme l’a malheureusement fait avec nous Silvio Berlusconi, qui a endeuillé vingt de nos années, qui nous a pris tout jeunes pour nous relâcher adultes, après nous avoir volé toutes nos illusions»
C’est à cet instant que ce père de famille craint qu’aucun de ceux qui ont dirigé l’Italie ces dernières décennies n’ait réellement averti Matteo Renzi que gouverner un pays signifie changer la vie de millions de personnes. Décider des écoles (donc, des aspirations), du travail (donc, du bien-être), de la justice et de la santé. En un mot, du bonheur (mot employé peut-être avec une certaine ingénuité – ou peut-être que non – dans mon dernier éditorial).
Au final, à force de tourner depuis une demi-heure dans la chambre de ses enfants, il finit par les réveiller ; et eux le regardent, les yeux endormis, d’un air interrogateur. Comment pourrait-il leur expliquer ? Que pourrait-il bien leur dire : « Vous savez, cette crise politique ne m’a pas plu du tout, c’est la plus extraparlementaire de notre histoire. Matteo Renzi est arrivé au gouvernement sans passer par les élections. Lui qui n’a jamais été élu, ni même envisagé comme un Premier ministre potentiel, lui qui n’est même pas parlementaire. Pas un passage au Parlement, seulement les couloirs des partis. Un gouvernement de fait, résultat de rapports de force non écrits. Comme si les citoyens n’existaient pas… Et, excusez-moi, mais cet accord sournois entre la droite et la gauche, si contraire à la volonté populaire, ne devait-il pas être seulement une solution d’urgence ? C’est pourtant devenu une alliance de législature. Alors, où est la nouveauté ? »
Comment fait-on pour expliquer tout cela à ses propres enfants. Un père italien ne peut qu’espérer que les choses iront mieux pour eux que pour lui. Ou, du moins, que cela ne durera pas vingt ans.
Buongiorno… Italia.
Rocco Femia, directeur de RADICI
Rocco Femia, éditeur et journaliste, a fait des études de droit en Italie puis s’est installé en France où il vit depuis 30 ans.
En 2002 a fondé le magazine RADICI qui continue de diriger.
Il a à son actif plusieurs publications et de nombreuses collaborations avec des journaux italiens et français.
Livres écrits : A cœur ouvert (1994 Nouvelle Cité éditions) Cette Italie qui m'en chante (collectif - 2005 EDITALIE ) Au cœur des racines et des hommes (collectif - 2007 EDITALIE). ITALIENS 150 ans d'émigration en France et ailleurs - 2011 EDITALIE). ITALIENS, quand les émigrés c'était nous (collectif 2013 - Mediabook livre+CD).
Il est aussi producteur de nombreux spectacles de musiques et de théâtre.