Extradé par la Bolivie, l’ex activiste d’extrême-gauche est arrivé ce lundi en Italie pour purger une peine de prison à perpétuité. Il avait été condamné en 1981 pour son rôle direct et indirect dans quatre assassinats. Devenu concierge puis écrivain, il avait passé près de quinze ans réfugié en France avant de s’enfuir à nouveau vers le Brésil.
Ce qui m’a frappé tout d’abord, c’est cette photo presque surréaliste de Battisti assis dans l’avion qui va le ramener en Italie. On l’y voit assis dans son fauteuil, le regard tourné vers le hublot opposé, le soleil baignant son visage tourné une dernière fois vers cette Amérique latine qu’il quitte peut-être à jamais et où il laisse une femme et un enfant mineur. Sur ses genoux : un plaid qui le ferait presque ressembler à un vieillard. Il est cerné de policiers en civil qui lui cacheraient presque ces derniers rayons de soleil.
Ce cliché a été judicieusement fourni par le Ministère de l’Intérieur italien à la presse. « Dans l’avion, il a parlé de sa vie et de sa fuite du Brésil vers la Bolivie, mais surtout beaucoup, dormi, visiblement tranquille » apprendra-t-on plus tard de l’Agence France Presse. Pourtant déjà arrêté en 2007 à Rio, et alors qu’il a entamé une grève de la faim dans un prison où il restera quatre ans, il avait déclaré : « je préfère mourir au Brésil plutôt que de retourner en Italie ».
« Maintenant, les victimes peuvent reposer en paix »
Et comme pour appuyer un peu plus sur la déchéance du fugitif, la police italienne avance une vidéo prise par ses soins où l’on voit Battisti, juste avant son arrestation, déambulant dans la rue à Santa-Cruz, dans l’est de la Bolivie, titubant légèrement, probablement sous l’effet de l’alcool. « Un homme usé, résigné à affronter son passé marqué par près de 40 ans de cavale, de nuits sans sommeil, d’emprisonnements entrecoupés de fuites rocambolesques et d’exil précaire » écrivent de leur côté Claire Gatinois et Jérôme Gautheret dans « Le Monde ».
« Maintenant, les victimes peuvent reposer en paix » s’exclame Alberto Torregiani. Il est le fils du bijoutier abattu sous ses yeux par les Prolétaires Armés pour le Communisme (PAC) en février 1979. Il fut lui-même blessé et restera tétraplégique. Battisti a été condamné pour avoir été l’instigateur de ce meurtre. « J’attendais ce jour depuis 40 ans » déclare aussi Adriano Sabbadin, un autre fils de victime des PAC. Son père, boucher, avait aussi été abattu dans son commerce, également pour avoir résisté quelques jours auparavant à une tentative de braquage. Sabbadin était en plus un militant d’extrême-droite. Dans cette affaire, Battisti avait été condamné pour complicité.
Quid des deux meurtres qui lui sont attribués par la justice italienne ? Celui d’Antonio Santoro tout d’abord, le 6 juin 1978. Le gardien de prison est réputé selon le srévolutionnaires comme maltraitant les détenus. Il est abattu à Udine. Moins d’un an plus tard, c’est Andrea Campagna qui se voit tirer une balle dans la tête, par des agresseurs arrivés dans son dos. Il était chauffeur pour les services secrets, « pas un enquêteurs » a insisté son frère. Là encore, Battisti est désigné comme celui qui a tué.
« Je ne suis pas le monstre que le gouvernement italien a tenté de construire »
Toute la classe politique italienne y est aussi allée de son message de satisfaction, du Président Matarella, pourtant d’habitude discret, à l’ensemble de la gauche, Boldrini, Gentiloni, Renzi. « Un criminel et un arrogant ». Voici comment Nicola Zingaretti le principal candidat à la présidence du Parti Démocrate, centre gauche, qualifie l’ancien fugitif. Dans une lettre datée du 18 décembre 2018, adressée à la Bolivie et où il demandait l’asile, le fugitif expliquait « ne pas être le monstre que le gouvernement italien a tenté de construire ».
Où sont donc passés alors les soutiens citoyens, intellectuels ou politiques d’antan, sur lesquels Battisti pouvaient compter ? « Depuis le début de sa cavale, les historiens ont travaillé » explique Marc Lazar. Interrogé sur France Culture, l’universitaire spécialiste de la péninsule rappelle que de nombreux travaux ont été effectués et des documents exhumés expliquant mieux le terrorisme des « années de plomb ».
Autrement dit la défense de l’écrivain exilé ne tiendrait plus, notamment celle dont il use lors de son dernier témoignage au journal Le Monde en 2011, alors qu’il est réfugié au Brésil : « Il y a eu des fautes commises, c’est évident confiait-il à l’époque. Prétendre changer la société avec des armes, c’est une connerie. Mais enfin ! A l’époque tout le monde avait des flingues ! Il y avait des guerillos dans le monde entier ! L’Italie vivait une situation prérévolutionnaire… C’est facile aujourd’hui de critiquer et de tout mettre dans le même sac ».
« Un poison récurrent de la relation franco-italienne »
« Aujourd’hui » c’était alors en 2011. « Depuis la France a été frappée à son tour de plein fouet par le terrorisme » précise encore Marc Lazar sur les ondes de la radio publique. Le regard sur Cesare Battisti, y compris parmi ses anciens soutiens ou du moins ceux qui évoquaient l’amnistie a donc aussi forcément changé dans l’hexagone. Pas plus mal diront certains à l’heure où les relations diplomatiques entre la France et l’Italie n’ont jamais été aussi mauvaises depuis bien longtemps.
La « jurisprudence » Mitterrand, qui avait promis de ne pas extrader les anciens militants ayant renoncé à la lutte armée, est bel et bien derrière nous. Battisti « restera l’un des poisons récurrents de la relation franco-italienne » affirme Anne Treca, journaliste spécialiste de l’Italie. De son côté, Matteo Salvini s’est une nouvelle fois engouffré dans la brèche de cette arrestation : « Il y en a tant d’autres qui se promènent en Europe et dans le monde. Des gens condamnés trois ou quatre fois à la perpétuité et qui ont ouvert un restaurant, qui écrivent des livres… »
Le Ministre de l’Intérieur italien, leader du parti xénophobe la Lega, a précisé qu’il avait des noms à réclamer à la France. Battisti est donc arrêté mais la polémique, elle, court toujours.
Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.