Pour mes quarante ans, mes amis et ma famille ont eu la formidable idée de m’offrir quinze jours inoubliables à Rome. Les paroles s’en vont, les écrits restent. Alors je vais leur raconter et vous raconter ce séjour à travers ces chroniques.
L’aéroport
(Prologue)
Pourquoi tous les voyages en avion, à l’étranger, doivent-ils systématiquement débuter par une file d’attente d’une heure ? Si Rome est éternelle, l’enregistrement, lui, est interminable. Il y a les quatre qui veulent être assis ensemble. Ils commencent à parlementer avec un des deux agents d’escale préposés à ce vol qui leur explique qu’il leur aurait fallu s’enregistrer sur internet auparavant, que ça va être compliqué et leur fait aussi comprendre qu’il n’y a pas de passe-droit mais simplement un ensemble de cases qu’il est là pour remplir et « optimiser » le mieux possible.
Il y a celui qui rentre au pays escorté de son hôte, avec deux valises de 25 kilos chacune alors que le poids maximal est de 23. Il va quand même essayer de négocier de ne pas payer la ou les centaines d’euros supplémentaires que coûte son excès, puis au bout de vingt minutes, s’en va à la boutique de l’aéroport acheter un bagage cabine et se résout à abandonner à son ami une partie de son chargement.
Il y a aussi celui qui ne comprend pas pourquoi son chariot de golf rétractable ne peut pas le suivre en cabine. « Il y a des normes de sécurité, monsieur ! » ne cesse de répéter l’employé d’Air France sans que cette phrase ait la moindre résonance dans le cerveau du passager indélicat qui s’estime dans son bon droit et devant être écouté plus que quiconque.
Il y a enfin ce couple de séniors, qui forcément a tout son temps, qui bloque le guichet pendant vingt minutes sans que personne, y compris lui, au bout du compte, ne sache vraiment pourquoi.
Et puis il y a vous, qui avez sagement tout préparé, qui n’allez occasionner aucune gêne vis à vis des autres, pour la simple et bonne raison que vous respectez autrui tout simplement.
De respect, il va aussi en être question au moment du contrôle de sécurité vers la zone d’embarquement. Les terroristes ne nous ont pas simplement blessé dans notre chair lors des attentats du 21 septembre, ils ont aussi entraîné un rabaissement de la considération de l’autre et nous rendent provisoirement à l’état animal.
« Bingo » crie avec dédain, et sans la moindre once de respect, l’agent de sécurité, lorsque le portique sonne sur une dame âgée, paniquée à l’idée de devoir enlever ses chaussures, sa ceinture, sa montre, le moindre bijou ou je ne sais quoi encore. L’homme, juste devant moi, son mari, se déshabille quasiment. Pour la machine, il vient de commettre un impardonnable délit : il porte des bretelles aux attaches en acier !
L’aéroport du XXIème siècle est redevenu en termes d’organisation la gare routière des années cinquante. Le progrès n’a pas été suivi par l’humain et la modélisation engendrée par ce dernier. Souvent, l’agent d’escale d’Air France ne parle pas l’italien et n’en saisit pas le moindre mot. L’hôtesse d’Alitalia ne maîtrise pas mieux la langue de Molière. Dans un pays ou face à ses ressortissants un jour, face à d’autres nations le suivant. Ainsi va la rationalisation des grands managers de compagnies aériennes.
A peine assis, un passager annonce, à voix haute à son voisin, afin d’être entendu par le plus grand nombre, que l’aéroport de Fiumicino est « le plus bordélique » qu’il ait jamais connu. A croire que nous n’avons pas embarqué au même endroit… Mais la suite ne va pas lui donner totalement tort (rendez-vous à la dernière de ces chroniques…)
Un embarquement à l’heure certes, mais le commandant nous explique aussitôt, en italien, puis en anglais, qu’il a perdu son « slot ». Bref sans rentrer dans le jargon aéronautique, notre créneau d’atterrissage a été décalé, rien ne sert donc de décoller tout de suite, puisque nous devrons nous poser trente minutes plus tard.
Blagnac aussi « bordélique » que Rome ? Je ne veux pas le savoir et préfère occuper ce temps à jamais perdu sur mon séjour romain, à contempler le paysage à travers mon hublot. Un tarmac légèrement ensoleillé, au goudron craquelé par la chaleur des étés toulousains et, en fond, des collines verdoyantes. Le panorama ressemble déjà étrangement à la destination qui est la mienne.
Toulouse, ville italienne ? Sans aucun doute, car thermale à l’Antiquité, aux vestiges encore multiples même si parfois bien dissimulés. Il faudra que je vous raconte un jour, cette merveilleuse visite qui m’a conduit dans les caves d’un HLM d’Ancely, à la rencontre de thermes romains formidablement bien conservés.
Mais retour aux réalités, à défaut de plancher des vaches. La « colazione » qui nous est servi à bord m’extirpe de mes souvenirs historiques ou poétiques. Non content de nous faire arriver à une heure indue dans la capitale (trouverai-je encore une pizza « al taglio » après 23 heures), voilà qu’on nous sert pour accompagner nos boissons… des croutons ! « Au vrai goût de l’Italie » est-il indiqué sur l’emballage.
Je ne sais vraiment pas ce qui fait rire cette passagère depuis le début de notre périple. Est-elle chanteuse d’opéra ? Son rire semble tout droit sorti d’un organe de Castafiore. A l’oreille, elle en a le coffre en tout cas. Mais alors quel visage mettre sur une telle voix ? Nombre de passagers, plus ou moins discrètement, tente de l’apercevoir. En vain. Baisser de rideau !
(Suite au prochain épisode…)
Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.