J’ai toujours rêvé de ressembler à un Gassman alors que je resterai irrémédiablement un Trintignant… je fais évidemment référence aux deux personnages principaux du Fanfaron
(Il sorpasso). Si je n’ai en revanche jamais pratiqué le journalisme comme Marcello Mastroianni dans La Dolce Vita, l’ombre tutélaire de cet acteur a toujours plané au dessus de moi.
Comment donc passer deux semaines à Rome sans aller me recueillir sur leurs dernières demeures. Je refais un sempiternel crochet par la gare Termini et m’engouffre dans la Ligne B pour descendre à Policlinico. En surface, je suis absorbé par un marché de pacotille, le long d’un grand boulevard, je croise enfin quelques étudiants. Et me voilà parvenu face à la Basilique Saint-Laurent Hors-Les-Murs.
La visite sera de coute durée. A peine rentrée, un prêtre se précipite vers moi : « è chiuso » s’indigne-t-il en m’indiquant la sortie frénétiquement. Puis il ne cesse de répéter en soupirant très fort : « non è possibile, non è possibile ! » A Rome, n’hésitez surtout pas à pousser les portes d’une église tant elles ont toutes leur charme et leur fraîcheur. En revanche, on ne peut pas gagner à tous les coups…
Le cimetière monumental du Verano est heureusement juste à côté : pour les parisiens, imaginez un « Père Lachaise », pour les toulousains un « Terre-Cabade ». Ses proportions font tourner la tête. Il faut plus de deux heures pour en faire le tour à pieds. D’ailleurs la plupart des proches des personnes inhumées ici n’hésitent pas à emprunter ses artères en voiture.
Je ne suis jamais parvenu à trouver les cimetières entièrement tristes. Même si en vieillissant, la perspective de finir sous terre, dans un lieu figé, où mes derniers fidèles finiront bien un jour par ne plus passer, ne me ravit guère. Mon grand-père d’origine napolitaine avait demandé à ce que ses cendres soient répandues dans la Méditerranée (« Mare Nostrum »), près de Sète. Sûr que je ne serai jamais allé me recueillir dans un cimetière là-bas. Par contre, chaque fois que je contemple cette mer, et encore plus quand je longe le rivage de Sète par l’autoroute pour partir en Italie, je pense fort à lui.
Tombeaux des temps jadis, mausolées pompeux, quelque chose de décadent et d’immortel, le cimetière du Verano me saisit d’emblée. Je m’y sens à la fois oppressé mais n’ai pas envie d’en partir tout de suite. Je me tranquillise en fixant les cyprès géants qui ont du en voir défilé des convois mortuaires, le dernier pas plus tard qu’il y a quelques minutes. La chapelle de l’entrée principale est d’ailleurs actuellement occupée.
Les sépultures ressemblent peu finalement à celles que l’on peut trouver dans la province française : principalement en pierre, assez tristes et vieillottes, peu décorées sans paraître à l’abandon. Ici, on ne se permet pas la moindre fantaisie avec la mort. Au pied de certaines stèles ou tombes, dépasse un mini-flambeau en verre. Certains sont illuminés en permanence. Qu’on laisse une lumière allumée en permanence pour un défunt, je trouve cela émouvant.
Les fleurs, elles, n’ont pas résisté à ces jours derniers de canicule entrecoupée d’orages. Mais elles témoignent de passages réguliers. Sur la tombe de Vittorio Gassman, quelqu’un a déposé un foulard translucide aux reflets verts. Pourquoi donc ? Je reste un moment, songeur, à me poser cette question et à fouiller dans mes repères cinématographiques, sans trouver la réponse.
J’ai, un temps, l’idée de déposer là mon stylo, symboliquement, puis y renonce, craignant de verser dans un fétichisme outrancier. La photo de l’acteur qui figure sur la stèle est bien choisie. On l’y voit, vieilli, mais souriant, malicieux et serein à la fois. Se savait-il alors sur la fin quand ce cliché a été pris. Se disait-il : « Tiens, celle-là, elle serait pas mal sur ma tombe ! » ou alors « après tout, j’ai bien vécu, ça peut s’arrêter maintenant ! »
Au-delà de cette icône nationale, au Verano, toutes les photos de défunts sont paradoxalement, vivantes. Vieux ou jeunes, on y aperçoit de splendides « regrettés », soit débordant de vitalité, soit élégamment habillés, soit amoureux, soit tout cela à la fois. Comme pour faire enrager encore un peu plus contre cette mort ou au contraire comme un pied de nez pour dire que tous ces disparus continuent à vivre, à briller.
Sur la tombe des Mastroianni en revanche, aucune photo mais un marbre noir et le nom de la famille en lettres d’or, dans une police que je n’ai jamais vue ailleurs. Pas de liste non plus des personnes qui reposent ici. Seuls trônent, entrecroisés et posés au milieu de la sépulture, deux tournesols qui commencent à faner. Mais pas besoin d’image après tout, pour se souvenir du regard profond et perçant du grand Marcello. Il nous habite toujours autant, de même que sa voix grave et suave.
Cette visite commence à peser sur le moral du mélancolique que je suis, je n’irai pas plus loin. Que Rossellini, De Sica, Sordi, Rota et les autres qui reposent ici me pardonnent. Mais le soleil et mes méditations finissent par me taper sur le crâne. En sortant, j’écris, en italien, sur le livre d’or : « merci, aujourd’hui, j’ai pu parler avec Vittorio et Marcello. Je leur dois tant ». Gassman, lui, a fait gravé sur sa plaque : « Non fu mai impallato ». Traduisez en quelque sorte : « je ne suis jamais tombé en panne ». Sous entendu, je n’ai jamais oublié mon texte ou mes répliques. Le grand qu’il était aura d’ailleurs le dernier mot de cette chronique.
Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.