Au début, j’ai cru mal comprendre mais l’enseignante de la « Dante Alighieri » a répété : « Si nous sommes aussi peu nombreux aujourd’hui en classe, c’est à cause du match. Une partie des accès de la ville ont été coupés par les policiers ! » Et la professeure de nous faire faire silence pour entendre le grondement des hélicoptères des forces de l’ordre qui survolent la ville.

A 18h ce soir, l’AS Roma affronte la Lazio pour la seconde place du championnat, qualificative pour la Ligue des Champions, la plus grande compétition européenne de football. Quelques jours plus tôt cette même Lazio a perdu, toujours au stade Olimpico, la finale de la coupe d’Italie face à mon club de cœur : la Juventus de Turin. Les supporters biancoceleste sont donc sur les dents. Ils débarquent en force, principalement des faubourgs de Rome et des villes voisines.

Certains d’entre eux font partie de ce qu’on qualifia à une époque de « hooligans », n’hésitant pas à tout casser sur leur passage, défaite ou victoire en poche, saouls ou pas saouls. Ils semblent qu’ils fassent moins parler d’eux ces derniers temps pour leurs traditionnels saluts fascistes, bras tendus dans les tribunes, qui avait valu à leur imbécile d’ancien capitaine (qui leur avait rendu ce salut), plusieurs mois de suspension des terrains.

Avant d’entamer mon séjour romain, un des premiers sites que j’avais essayé de localiser sur une carte avait été le stadio Olimpico. Perché au nord de la cité, ne le cherchez pas sur vos cartes, il n’y figure pas. Non loin de chez moi, un autre stade, le Flaminio qui lui apparaît sur les plans de ville. Me vient alors cette question : pourquoi ne pas faire jouer ces deux clubs dans deux stades différents dont un plus proche du centre ?

La réponse est liée en grande partie à la sécurité de la population. Avant l’annonce de ce derby décisif pour le classement, je lorgnais sur la venue de la Juventus. Mais ayant entendu rabâcher à la radio les mesures de protection prises et les appels à la prudence, je renonçai. La suite me donna raison.

Coup d’envoi de ce match Rome contre Rome à 18h. Dans l’une des spacieuses cours-terrasses privatives de mon immeuble, tout a été mis en place. Les enfants jouent au ballon en mimant les stars, les hommes, encore dans leur costume de journée, trinquent. Les hurlements virils s’amplifient en remontant d’une cour encaissée quelques trois étages en dessous de ma terrasse. Cet enthousiasme, cette ferveur sont presque inquiétants y compris pour un aficionado du ballon rond comme moi.

Tout à coup : un déchaînement de joie. Iturbe ouvre le score à la vingt-huitième minute. Un soulagement bienvenu. Mes voisins pro-Roma ont frôlé l’apoplexie, quand cinq minutes à peine après le début du match, Miroslav Klose avait raté une occasion en or. Mais le bonheur va être de courte durée puisque Djordjevic égalise pour la Lazio à la 38ème minute.

Pendant ce temps-là, deux tifosis de l’AS Roma, eux, ne verront pas le match. Ils ont reçu des coups de couteau donnés par les partisans de la Lazio et ce avant même d’avoir atteint le stade. Autres absents, un père de famille et ses fils, étouffés à coup de lacrymos. Ils regarderont désormais le calcio, bien protégés dans leur canapé, à la maison. Quelle bêtise quand même que de transformer un spectacle familial en drames humains.

La Roma qui, jusqu’à présent, avait plutôt joué le catenaccio (le cadenas défensif), passe à l’offensive et ça finit par payer. Mbiwa scelle le destin de son équipe juste avant la mi-temps. La seconde période sera chaude, si l’on en juge par les cris qui remontent de la cour et sortent des fenêtres environnantes. En parallèle, la rue répond à cette victoire à coups de klaxon pour annoncer la fin des hostilités sur le terrain.

A vingt heures, la deuxième journée des forces de l’ordre débute. Les hélicos tournent désormais en permanence au dessus de la ville et sur la via dello stadio Olimpico. Quelques dégénérés biancoceleste remettent ça. Ils attaquent les gardes mobiles avec des bouteilles de bières et autres caillasses ramassées à l’avenant. Les fumigènes se mêlent aux cocktails Molotov des assaillants.

Mille-sept-cents agents vont essayer de contenir la stupidité ambiante, dix supporters de la Lazio finiront leur soirée en cellule. Le lendemain, dans la Repubblica, je lis de bonnes nouvelles. Massimiliano et Daniele, vont mieux après leur agression au couteau. Ils ont été opérés, leurs jours ne sont pas en danger et pour couronner le tout, leur équipe a gagné.

Patrick Noviello
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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.