Un monde d’egos surdimensionnés où le paraître l’emporte sur toute autre considération… Un univers d’individualités où l’amitié n’a de place que pour servir les rapports professionnels ou le prochain film. Voilà souvent comment est dépeint le milieu du cinéma. Mais parfois une parenthèse enchantée s’entrouvre, le temps d’une soirée presque en famille, quelques heures qui réuniraient tout simplement des amoureux du grand écran italien et de sa musique.
Oui, c’est ce que nous avons vécu ce 8 février : une soirée inoubliable. Tu nous l’avais promis, mon cher Rocco, elle le fut. Quel délice d’entendre Claudia Cardinale nous parler, à nous public de 900 personnes, de ses moments avec Sergio Leone et Ennio Morricone, quand ils écoutaient ensemble le maestro leur présenter les musiques de « Il était une fois dans l’Ouest ». Ou encore Laura Morante nous conter le tournage de « La chambre du fils » dirigée par un Nanni Moretti égal à lui-même survolté toujours, malheureux parfois.
Mais pas de solennité entre nous. Parce que l’humour n’a pas été oublié, notamment avec Jean Gili comme maître de cérémonie. Je ne sais plus qui disait que l’humour était souvent tout ce qu’il nous restait face au désespoir. Ou face au dépit de ne plus pouvoir faire des films « avec 250 cavaliers qui dévalent la colline » comme l’explique Pupi Avati. Les studios de Cinécitta sont moribonds, et en Italie des cinémas ferment, ne l’oublions pas. Mais lui, et son frère Antonio, comme d’autres, se battent et résistent avec force clin d’œil et sourires qui emportent la salle. Tant pis si les cavaliers ne sont que 35 ou ne passent qu’à la télé et plus dans les salles, le spectacle continue.
Et puis « La Grande Bellezza » est nommée aux Oscars quand même, avec Toni Servillo, acteur présent dans « Viva la libertà », le dernier film de Roberto Andò. Ce réalisateur était aussi des nôtres ce 8 février. De sa voix douce et chaleureuse, il nous parle évidemment de sa dernière œuvre, de la politique en Italie, de poésie et d’un peuple qui ne demande qu’à espérer et croire à nouveau. Le charme opère et nous ne sommes pas dans un film mais dans la vraie vie, un moment rare, où les vedettes ont envie de partager et l’assistance de recevoir.
Et que dire encore de la générosité d’un Jean-Pierre Furlan, tête haute et port altier, sur cette scène du TNT comme s’il chantait à la Scala de Milan, comme si c’était la représentation de sa vie, lui qui a toujours voulu tout donner sur une scène toulousaine pour rendre hommage aux siens et à cette ville qui l’a vu devenir ce majestueux ténor qu’il est aujourd’hui. Sans oublier la splendide Cécile Limal, soprano captivante prenant même le dessus sur les images de Bronson, Fonda, Cardinale ou encore Bénigni avec qui « La vie est belle » quoi qu’il arrive.
Et puis il y a ceux qui ne quitteront pas les planches, ceux dont les notes vont nous emporter, nous faire voyager dans ce patrimoine filmique, ceux qui recréent pendant deux heures des émotions cinématographiques dans lesquelles nous n’avons qu’une envie en rentrant à la maison, nous y replonger, exhumant nos DVD ou VHS de Fellini, Tornatore ou Monicelli. Ces musiciens parmi lesquels des très jeunes talents, qui nous démontrent que ces bandes originales de films traversent les âges et les générations.
« Les inoubliables », le défi était grand que de nommer un spectacle ainsi. Et pourtant c’était vrai, cette soirée le fut. Alors la prochaine fois que chacun de nous regardera un Mastroianni, une Cardinale ou une Morante à l’écran, il y songera encore, nostalgique, mais plein d’espoir.
Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.