Il est venu du lointain Orient et représente un modèle parfait d’intégration ! Sans lui, l’Italie perdrait sa majuscule : le cyprès de Carducci surmonté de la lune de Leopardi placée là comme un point sur le « i » d’Italie.
Du berceau jusqu’à la tombe, le cyprès ponctue toujours de sa présence indéfectible les grands moments de l’histoire italienne, qu’elle soit intime ou nationale. Voici un itinéraire inhabituel au cœur d’un mythe du paysage italien.
Au cœur de Florence, dans le carré du Chiostro Verde de Santa Maria Novella, on le croirait jumeau naturel du campanile adjacent dont il semble vouloir imiter l’harmonie, la sévérité et la pointe, et dont la teinte sombre achève la palette verte des fresques qui donnent son nom au cloître. Sa ligne verticale et virile complète les courbes arrondies et féminines du portique qui l’enceint. Empruntons à l’humaniste toscan Leon Battista Alberti son œil ailé et rendons-nous sur le Forte Belvedere qui domine la ville. De là, nous retrouvons cette géométrie amoureuse du cercle et de la ligne qui semble avoir enfanté la Renaissance : c’est la raideur éloquente du campanile de Giotto répondant à la rondeur débordante du Dôme de Santa Maria del Fiore. Autant dire que le cyprès italien n’a qu’une lointaine parenté avec ses cousins japonais ou californiens. Ils semblent là-bas n’avoir jamais quitté le règne végétal et s’épanouissent en pleine nature sans daigner se plier aux règles rigoureuses du botaniste, du jardinier ou de l’architecte. Il est en revanche en Italie le plus fidèle ami de l’homme. Pouvait-il en être autrement dans le Giardino dell’Impero où Nature et Culture ne font qu’un en une étreinte, un amplesso, dont le cyprès est à la fois la graine et le fruit. Dove manca natura l’arte procura… Quand il manquait à l’Italie sa mesure et son signe, quelque Phénicien, étrusque ou Romain avisé l’importa de la lointaine Perse en la personne du Cupressus Sempervirens, apportant au pays une touche orientale qui s’est très vite changée en une authentique signature. L’enfant naturel est devenu figlio d’arte des agrimensori romains, ces arpenteurs infatigables passionnés de l’ordre et de la ligne droite… Nulla dies sine linea (pas un jour sans une ligne) aurait dit Pline. Cette dimension artificielle, construite et écrite du paysage italien et de son prince heureux, le cyprès, n’échappera pas au regard de Goethe qui y verra une « seconde Nature ». Bien avant lui Varron, en 37 av. J.-C., dans son De re rustica, avait opposé clairement la forme du paysage telle qu’elle résulte du travail de l’homme à celle quam natura dat, donnée par la nature. Les formes de la villa romaine vont prolonger ces contrastes : les villae rustica et fructuaria sont associées au travail agricole tandis que la villa urbana, lieu de plaisance, de voluptas et de delectatio doit mettre en scène l’imaginaire hellénistique des maîtres. Leur maison n’ouvre plus sur une cour dallée, comme chez les Grecs, mais sur un jardin représentant la Nature en minuscule, idéalisée. L’orme, associé à la vigne et au travail des champs n’y a pas sa place ; l’architecte lui préfère le « platane solitaire », le cyprès viril ou l’arbre fruitier. Des péristyles plantés de fleurs et d’arbustes forment le prolongement de la demeure dans une nature entièrement domestiquée, revue et corrigée. Notre arbre prend le relai de la colonne. L’hortus devient viridarium, le potager devient verger et jardin d’ornement. Le cyprès est alors une composante du « Bel paesaggio ».