Le goût de l’Italie serait-il une sorte d’addiction ? L’une de celles dont on se garderait bien de se voir sevré, et dont les victimes s’emploient à entretenir la délectable douleur, en se soumettant autant qu’elles le peuvent à la pratique des découvertes au travers d’expéditions solitaires ou de voyages collectifs. Entre ces épisodes, ô combien trop courts, les corps sont mis à l’épreuve du manque, mais la vie sociale et la production intense distillent des compensations, images d’expositions, de cinéma, représentations à l’opéra… et des livres. Ah, les livres !
Correspondances, journaux, reportages, essais, récits de voyages sont ainsi devenus les compagnons indispensables du goût de l’Italie. Au point, peut-être, que le souvenir de leur lecture est devenu un viatique pour le pèlerin. Loin de la lumière italienne, dans les hivers atlantiques, l’on tremble depuis plusieurs générations à la lecture de Montaigne ou du Président De Brosses, comme à celle des voyageurs du XIXe siècle, Chateaubriand, Stendhal, Gautier, Dumas, Flaubert, ou bien encore à celle de Taine et de Suarès. La connaissance prend ici le chemin de la réminiscence, le style des écrivains voyageurs relève le goût des objets de la passion. Mais, dira-t-on, n’y a-t-il de regard acceptable que celui produit par cette condition d’étranger, un regard qui disposerait d’une « bonne distance » autant que des subtilités de sa langue maternelle, différente de celle du territoire observé ? Cette manifestation du goût de l’Italie qu’est le pèlerinage français vers la terre mère de la latinité va s’étioler dans le courant de ce XIXe siècle, quand Paris devient le centre de l’univers artistique et littéraire. D’ailleurs, l’obsession de l’Italie ne s’est-elle pas plutôt accentuée, suite à celle que les écrivains italiens ont manifestée envers la France à partir des origines de son unité. Leur accueil à l’intérieur de nos frontières est ainsi l’une des clefs qui permet de comprendre la présence de l’Italie. Dans les cœurs, cette inclination pour la Péninsule est devenue plus sensible encore du fait des frottements entre les deux langues. On lira à ce propos avec un grand intérêt la série d’essais de François Livi, Italica (Âge d’Homme, 2009), qui aborde largement ce sujet à propos des poètes et des romanciers italiens et français, pris dans la recherche d’une « fraternité », au-delà de la langue. En dessinant à grands traits quelques-uns de ceux, intellectuels, écrivains, éditeurs et traducteurs, qui répondirent à l’appel de leurs frères et sœurs de la Péninsule, nous évoquerons, dans les lignes qui suivent, quelques-unes des figures de la littérature italienne qui accompagnent nos jours et nos nuits de fièvre.
À tout seigneur, tout honneur.