Les Italiens « sans nationalité », ces jeunes gens toujours plus nombreux souvent nés sur le territoire italien et formés à l’école italienne, qui ne connaissent rien d’autre que l’Italie mais ne sont pas citoyens du pays car leurs parents sont étrangers, est un sujet régulièrement abordé dans les pages de RADICI. La question de leurs droits est au cœur cet article.
Kamila est née en Italie de parents étrangers il y a vingt ans. Exactement comme Laura, sa meilleure amie, dont les deux parents, en revanche, sont italiens. Toutes deux ont un accent romain quand elles parlent, avec des mots typiquement un peu estropiés, et le « r » employé à place du « l ». La seule chose qui les différencie est leur nationalité : la première ne l’a pas, la seconde oui. Kamila, comme tous les enfants d’immigrés nés en Italie et/ou y ayant grandi, n’est autre que l’énième soldat de cette immense armée que représentent les « Italiens sans nationalité », comme les a rebaptisés l’association homonyme qui se consacre, dans la Péninsule, à ceux qui « luttent contre la bureaucratie et les difficultés quotidiennes pour devenir citoyens italiens ». Eh oui, parce que la loi sur la nationalité actuellement en vigueur en Italie est pour le moins épineuse. Non seulement parce qu’il ne suffit pas de naître dans le Bel Paese pour en être citoyen, vu que le critère pour le devenir est celui que l’on appelle le ius sanguinis, c’est-à-dire que la transmission de la nationalité passe de parent à enfant. Mais aussi parce que la loi qui régit la question, à savoir la n°91 de 1992, présente des critères à tout le moins excluants. En bref, pour ceux qui naissent de parents étrangers, il y a trois voies pour obtenir la nationalité italienne : attendre ses 18 ans si l’on est né en Italie (en démontrant y avoir résidé légalement et de façon ininterrompue), se marier avec un citoyen italien, ou atteindre la période de résidence de 10 ans avec un certain seuil de revenus, qui varie en fonction de la composition du noyau familial. Dans le détail, dans ce dernier cas, pour présenter une demande de nationalité, il est nécessaire de justifier pour les trois années précédant la demande, d’un revenu annuel d’au moins 8 263,31 euros par demandeur sans personne à charge et d’au moins 11 362,05 euros pour les demandeurs avec conjoint à charge, augmentable de 516 euros pour chaque personne à charge supplémentaire. Il est aisé d’imaginer combien le verrou de la disponibilité économique est le plus difficile à faire sauter. Ce court-circuit a été bien raconté à l’hebdomadaire L’Espresso par Insaf Dimassi, une activiste politique âgée de 25 ans qui est arrivée de Tunisie en Italie alors qu’elle avait à peine 9 mois. La jeune femme est allée à l’école maternelle, primaire et secondaire, et à l’université en Italie. Mais cela n’a pas suffi pour lui permettre de voter aux élections du mois de septembre dernier, n’ayant pas la nationalité italienne. « J’ai commencé à travailler pour payer mes études, mais ce n’étaient que de petits boulots sporadiques qui ne m’ont pas permis d’atteindre les conditions requises de revenus nécessaires pour obtenir la nationalité », a déclaré la jeune femme avec un voile de résignation. Le cas de Baofa Mifri Veso, l’athlète née à Pordenone (Frioul-Vénétie Julienne) qui a remporté en février dernier, dans sa spécialité du triple saut, à 16 ans, la victoire qui lui aurait permis de se qualifier pour les championnats d’Europe, est tout aussi emblématique. De nouveau, l’obstacle de la loi : la jeune fille, née de parents congolais, allait devoir attendre ses 18 ans pour obtenir la nationalité italienne. Et peu importe qu’elle n’ait jamais vu le Congo, pas même en carte postale. Les chiffres parlent d’une situation à la limite de l’urgence : selon le rapport annuel de l’Istat, les mineurs nés en Italie de parents étrangers sont plus d’un million et seulement 22,7 % d’entre eux sont parvenus à obtenir la nationalité italienne. En réalité, quelques avancées, du moins symboliques, pour combler cette lacune évidente ont été franchies au cours des dernières années. En 2018, par exemple, le président de la République Sergio Mattarella a remis à Great Nnachi, alors âgée de 15 ans, née à Turin de parents nigérians, le titre honorifique de Alfiere della Repubblica après que, un an auparavant, la jeune fille avait remporté le premier titre tricolore chez les jeunes en saut à la perche. Un titre qu’elle n’avait cependant pas pu célébrer avec le drapeau italien puisqu’elle n’avait pas la nationalité.
Ou encore quand, en février 2022, la ville de Bologne, dirigée par le maire Matteo Lepore, a approuvé un ordre du jour pour accorder la citoyenneté honoraire à onze mille enfants nés en Italie de parents étrangers.
Des pas importants, certes, qui résonnent pourtant plus comme un aveu d’échec que comme des solutions concrètes. Il faut dire aussi que sur la question de la nationalité, la Péninsule ne soutient pas longtemps la comparaison avec les autres grandes démocraties européennes. Il suffit de penser au cas de la France : le « double ius soli » y est en vigueur. On reconnaît la nationalité française aux enfants nés en France à condition qu’au moins l’un des deux parents soit né sur le territoire français, indépendamment de son passeport. Ou encore le « ius soli tempéré » de l’Allemagne, qui permet quant à lui d’acquérir la nationalité allemande aux enfants de parents, même étrangers, ayant résidé dans le pays pendant un certain temps.
Tentatives de l’Italie pour un accès plus juste à la nationalité, échouées avortées à cause de la droite
Il faut dire qu’une partie de la classe politique italienne est pleinement consciente de combien la question de la nationalité doit être affrontée au plus vite. Au fil des ans, d’innombrables propositions ont été faites en ce sens mais, pour une raison ou pour une autre, elles e sont jamais passées au crible du Parlement. La dernière a été portée par le député du Mouvement 5 Etoiles Giuseppe Brescia et elle est arrivée à la Chambre le 29 juin dernier : il s’agissait du ius scholae. Le texte en question prévoyait que toute personne arrivée en Italie avant l’âge de 12 ans et ayant passé 5 ans à l’école puisse demander la nationalité italienne. La mesure semblait plus que raisonnable, si bien que même un parti de centre droit comme Forza Italia, se démarquant de ses « alliés », vota en sa faveur avec le Centre gauche.
Mais l’obstructionnisme de Fratelli d’Italia et de la Ligue, qui se rangèrent immédiatement contre cette menace présumée à l’identité nationale, en bloqua l’approbation. Un choix même accompagné de l’habituelle réplique visant à noyer le poisson qu’est le « ce n’est pas une priorité ». Puis, la fin de la législature et la victoire aux élections du Centre doit (et l’arrivée au Palazzo Chigi de la leader de Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni) ont fait le reste, excluant complètement le thème de l’accès à la citoyenneté du débat politique. N’en déplaise aux centaines de milliers d’ « Italiens sans nationalité » qui, encore une fois, devront attendre de devenir une priorité pour le gouvernement italien.