J’avais entendu parler de lui maintes fois, mais je crois bien l’avoir vraiment rencontré le jour où j’ai vu le film de Paolo Sorentino Il Divo (à regarder absolument). Giulio Andreotti est mort à 94 ans, le 6 mai dernier. Lecteurs français, ne cherchez pas à le comparer au moindre de nos Hommes Politiques. A la fois Mitterrand pour le pouvoir, Chirac pour ses effets de proximité avec ses électeurs, Pasqua pour les liaisons dangereuses etc…
Son registre est infini et sa carrière a duré pas moins d’un demi-siècle : leader de feu Démocratie Chrétienne, il sera sept fois président du Conseil italien entre 1972 et 1992. Ne croyez pas pour autant que je lui voue une quelconque admiration, j’ai toujours eu un recul de dégoût face à la soif de pouvoir et la « combinazione ». Andreotti n’échappe pas à la règle, même s’il est effectivement inclassable.
Vous noterez que j’emploie encore le présent pour parler de lui alors que « l’inoxydable », l’un de ses surnoms, est bel est bien décédé. Ce qui a valu cette réaction très bien trouvée à ce romain cité par Philippe Ridet dans Le Monde : « Il n’est pas encore ressuscité ? ». C’est vrai qu’Andreotti aura réussi à retourner toutes les situations, y compris judiciaires. Et ces nombreux épisodes de sa vie ne sont pas sans résonner à l’heure où Berlusconi vient d’essuyer sa première condamnation définitive. Celui qui était aussi appelé « Belzébuth » avait l’habitude de dire, ironique : « En Italie, on me tient responsable de tout sauf des guerres puniques ! ».
Andreotti a été reconnu coupable d’association de malfaiteurs (liaisons avec la mafia) jusqu’au printemps de 1980, faits qui au moment de la sentence étaient prescrits. Sûr de lui, comme à son habitude, il alla même jusqu’à déposer un recours devant la cour de cassation afin d’obtenir son absolution qu’il n’obtint pas devant cette cour, cassation qui le condamna à payer les faits de procédure. Des procédures, il y en eut d’autres mais les juges n’ont pas cru qu’elles soient suffisamment étayées pour établir des rencontres supplémentaires entre Andreotti et des chefs mafieux.
Accusé par des parrains repentis d’être étroitement lié à la Mafia, d’autres enquêtes démarrent en 1993, juste après sa dernière présidence, et beaucoup d’autres suspicions refont surface : quid de la mort d’Aldo Moro, le chef de la Démocratie Chrétienne exécuté par les brigades rouges, de l’assassinat de Dalla Chiesa à Palerme, le général qui aurait retrouvé les carnets de Moro ô combien compromettant pour Andreotti selon certains, et enfin du meurtre du journaliste Mino Pecorelli qui enquêtait sur ces mêmes carnets et s’apprêtait à en publier des extraits ?
« C’est un jeune homme capable, tellement capable, que je le crois capable de tout » disait de lui Alcide De Gasperi son mentor, fondateur de Démocratie Chrétienne. Capable surtout de mélanger les genres, « San Giulio » était non seulement l’ami des papes, mais aussi des banquiers du Vatican. Pour cela, certains journaux français ont d’ailleurs été moins durs avec lui. « La Croix » par exemple envisage son long parcours politique comme « un sacerdoce », Laurent d’Ersu écrivant même « ces coups reçus par la justice, l’intéressé les recevra avec le flegme pincé dont il était coutumier », qualifiant « le Divo Giulio d’homme de foi ».
Dans Il Divo justement, je revois ce petit homme vouté, marchant toute la nuit, plongé dans ses obscures pensées, plus sombres encore que la nuit noire, à bout de souffle, dans son appartement romain, s’acharnant et s’acharnant encore à se torturer le corps et l’esprit. Et au petit matin, le docteur, à son chevet, l’implorant de cesser ce type de rondes infernales, évitant soigneusement de lui intimer le moindre ordre, sachant ce type d’injonction inutile, sans prise sur un individu au-dessus de tout, y compris des lois. Pourquoi se faisait-il ainsi mal ? Pour essayer de semer ses remords, si jamais il en eut ?
Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.