Véritables trésors régionaux et nationaux, prisés, uniques et inimitables, les charcuteries italiennes offrent au palais une multitude de goûts différents. Voyage dans le monde des salaisons avec pour conseil de savoir les apprécier sans trop en abuser !

ALESSANDRA PIERINI

Un petit pain tout juste sorti du four, chaud et croquant. Deux tranches de saucisson et un morceau de fromage. Si vous me demandez ce qu’est pour moi la confort food, c’est exactement ainsi que je la décrirais. Il existe en Italie plus de 100 variétés de saucissons, sa production remonte au temps des Romains, mais c’est au cours du Moyen Âge, à la suite de la fragmentation politique de l’Italie en de nombreux petits États, qu’elle s’est généralisée dans toute la Péninsule. La tradition des charcuteries est née de la nécessité de conserver dans le temps les viandes animales facilement périssables. On ne pouvait pas consommer la totalité de la viande tout de suite après l’abattage d’un cochon, ainsi, en l’absence de moyens de réfrigération, des techniques de salaison, séchage et maturation ont été développées, puis transmises dans le temps.

L’art de la norcineria, terme désignant les procédés de fabrication et de conservation, surtout de la viande de porc, qui tire son nom de la ville de Norcia, en Ombrie, exploite toutes les ressources territoriales au profit de nombreux produits caractéristiques qui font de l’Italie un grand pays de charcuterie.

Les traces les plus anciennes de la transformation de viande en insaccati (le terme dérive du fait que la viande est insérée dans un sachet, sacchetto, constitué d’un boyau naturel ou artificiel) proviennent de la région de Mantoue et remontent à la civilisation étrusque du Ve siècle av. J.-C. Plus tard, les Romains, qui appréciaient la consommation de viande fraîche, réservèrent les charcuteries sèches aux troupes qui partaient pour de longs voyages.

Il semble en revanche que ce soient les Lombards qui aient fixé, au début du Moyen Âge, les premières règles de conservation de la viande de porc, en utilisant du nitrate de potassium, du sel (le terme salume dérive en effet de sale), provenant de gisements de l’une de leurs régions d’installation, Salsomaggiore, dans la province de Parme.

À la Renaissance se précisent les figures du trinciante, affecté à la découpe de la viande, et du scalco, préposé au service des viandes. Dès lors, la découpe se transforme en art et la charcuterie devient étroitement liée à l’histoire gastronomique italienne ; autrefois source sûre de protéines, elle est aujourd’hui un élément incontournable des plaisirs de la table.

Au fil des siècles, la créativité des charcutiers qui utilisaient la matière première après l’abattage des porcs, mais aussi d’autres animaux, a donné naissance à des centaines de spécialités aux ingrédients et aux procédés de fabrication fort variés.

Nous voudrions vous guider pour un tour d’horizon à la découverte des principales spécialités italiennes dans ce domaine qui ne constitue toutefois qu’une infime part de l’immense patrimoine gastronomique lié à la transformation de la viande.

LES JAMBONS

Pour beaucoup, ils représentent l’excellence. L’origine du mot prosciutto est liée à deux termes latins, perexsuctum, séché, et perex suctum, asséché. La tradition dialectale de Parme vient confirmer cela avec parsùt, « qui semble sec », et indique l’évaporation de l’eau pendant la maturation.

Les principaux lieux d’élection du jambon cru sont Parme et Modène en Émilie-Romagne, San Daniele et Sauris dans le Frioul, Norcia en Ombrie, la Vénétie, Carpegna dans les Marches, la Toscane, les monts Nebrodi siciliens et le Val d’Aosta. On trouve des productions moins importantes mais tout aussi qualitatives en Campanie, avec le prosciutto del Casentino et le prosciutto Bazzone della Garfagnana (Toscane), qui sont des sentinelles Slow Food, le jambon de race antique calabraise et les jambons du Latium d’Amatrice, de Guarcino et des Monti Lepini.

Le jambon est connu pour sa fabrication en apparence très simple bien que longue dans le temps, et très influencée par les conditions climatiques et environnementales, et aucun conservateur ou additif chimique ne doit être utilisé au cours du processus.

En principe, pour obtenir des jambons, les cuisses fraîches doivent reposer pendant environ 24 heures dans des chambres froides pour qu’elles se raffermissent, ce qui facilite le retrait du gras et de la couenne qui constituent 25 % de chaque pièce. Ensuite, on recouvre la couenne de sel humide et la partie maigre de sel sec. Au bout d’une semaine, les cuisses sont à nouveau recouvertes de sel et reposent pendant 2 ou 3 semaines. Le sel en excès est enlevé, on les laisse reposer encore trois mois, pour ensuite les suspendre dans des pièces aérées. On effectue ensuite la sugnatura, terme qui vient de sugna, une pâte qui joue un rôle de protection de la partie maigre,c’est-à-dire que l’on enduit les cuisses de graisse de porc légèrement poivrée qui les maintiendra tendres et savoureuses. Les jambons doivent être affinés pendant au moins 12 mois.

Les deux jambons les plus connus et les plus consommés tant en Italie qu’à l’étranger sont le jambon de Parme et le jambon de San Daniele dans le Frioul, tous deux bénéficiant d’une DOP (Denominazione di origine protetta). Le premier possède une couleur entre le rose intense et le rouge, et de belles marbrures de gras brillant. Son goût est caractérisé par une douceur persistante, avec différentes nuances de saveurs allant des fleurs au miel, aux fruits secs, jusqu’à la note épicée et pénétrante du poivre et la profondeur du saindoux, et il a une forme arrondie. Le San Daniele se distingue d’abord visuellement par sa forme allongée, avec le « pied » du porc qui a été conservé, la couleur rouge rosé plus intense, le blanc pur de son gras et ses marbrures. Sa saveur est plus délicate. L’air sec des collines frioulanes accélère la maturation des jambons, tandis que dans la région de Parme, le brouillard et l’humidité élevée permettent de garder les jambons plus tendres. Ainsi, pour une même durée d’affinage, le San Daniele semble plus mature que le Parme.

LE SPECK

C’est un jambon cru désossé, salé, légèrement fumé et affiné entre 20 et 32 semaines, peut-être l’IGP (Indicazione Geografica Protetta) le plus populaire du Trentin Haut-Adige. Son secret réside dans le mélange d’épices utilisé pour l’aromatiser, principalement du poivre, de l’ail, des baies de genévrier, chaque producteur ayant sa recette. Les moisissures et les levures, essentielles, sont différentes suivant les endroits et donnent ainsi des caractéristiques particulières. Le speck est souvent utilisé dans les préparations cuites, dans les recettes de pâtes ou de risottos, mais aussi dans les sandwichs, avec une crème d’artichaut, une sauce au thon ou aux tomates séchées. Il accompagne parfaitement les légumes comme les asperges ou les endives, est exceptionnel avec la mozzarella, la burrata, le taleggio, l’asiago ou la ricotta. Pour rester dans la région, les vins qui se marient le mieux avec cette charcuterie sont le blanc sec Müller-Thurgau ou un rouge intense aux parfums boisés comme le Lagrein ou le Pinot Noir.

LA COPPA

On désigne par ce terme différentes charcuteries selon les régions d’Italie. À l’exception de certaines productions du centre du pays qui se préparent avec la tête (par exemple la coppa di testa qu’il faut consommer rapidement parce qu’elle n’est pas affinée, ou la sopressa ou coppa toscana, un saucisson cuit à coupe grossière obtenu à partir de la tête et d’autres parties du porc, épicé et parfumé), il s’agit d’un saucisson travaillé à cru en utilisant le morceau du même nom, la coppa, le collet, auquel on ajoute du sel, du poivre et des épices, embossé dans un boyau cylindrique et affiné au moins 6 mois.

La Coppa piacentina DOP est considérée comme l’une des plus prisées avec celle de Parme. Dans le centre et le sud de l’Italie, où le même morceau prend le nom de Capocollo, l’un des plus appréciés est le Capocollo de Martina Franca, dans les Pouilles, sur les collines de la Murgia. Doux et parfumé, il est légèrement fumé et mariné, avant l’affinage, dans un vin cuit local, une réduction sirupeuse de moût de raisin, également appelé ailleurs saba ou sapa.

C’est une charcuterie qui se marie bien avec le pain, le fromage à pâte dure, les figues, la chicorée sauvage, la roquette et les épinards. Un prosecco ou un moscato pétillant servi légèrement frais mettra en valeur son côté épicé sans en couvrir la douceur ni les arômes.

LA MORTADELLE

Il s’agit certainement de l’une des charcuteries italiennes les plus connues au monde. Elle peut être plus douce, attrayante, au parfum enivrant et gourmand, à condition cependant d’être produite dans les règles de l’art. Malheureusement, la plus grande partie de la mortadelle en circulation est médiocre ce qui en fait l’une des charcuteries les plus maltraitées. La recette est très ancienne, probablement déjà présente au temps des Étrusques qui élevaient des cochons dans l’actuelle Maremme recouverte alors de vastes étendues de chênes. Puis les Romains, dont nous avons le témoignage sur une stèle d’époque impériale représentant sept porcelets au pré et un mortier avec son pilon, le murtatum, d’où dériverait le nom mortadella, pour préparer les épices et les arômes. La mortadella de Bologne IGP est sans aucun doute la plus célèbre. Elle est préparée avec un mélange de viandes de porc et d’épices, auquel on ajoute parfois des pistaches, dont on farcit une enveloppe naturelle ou artificielle, souvent de grande dimension, refermée et cuite dans des fours à air sec.

D’autres mortadelles sont dignes d’intérêt : la mortadelle de Prato, en Toscane, qui pèse environ 400 grammes, préparée avec des chutes de viande, des épices et de la liqueur Alkermes ; la mortadelle de Campotosto, produite dans la région de l’Aquila (Abruzzes), ressemble à un saucisson de petite taille, à pâte très fine, avec une barre de lard blanc sur toute la longueur ; la mortadelle de foie de la région de Novara, produite avec des viandes maigres et du foie de porc, hachés en une pâte fine agrémentée d’arômes et d’épices et insérée dans un boyau naturel. Elle est affinée et conservée dans le saindoux. Il faut la couper très fin ou au contraire en gros cubes pour l’apéritif. La meilleure façon de la déguster est dans un petit pain rond typique, la rosetta. Elle est aussi délicieuse avec des poivrons, des asperges, du Parmesan, du Pecorino semi-affiné ou du raisin. Alliée incontestable de toutes les farces auxquelles elle donne de la densité, de la saveur et de la souplesse, elle est ainsi l’un des ingrédients principaux des tortellini bolognesi. Le mariage avec un vin blanc effervescent ou un bon lambrusco représente un accompagnement heureux car il permet de nettoyer le palais.

LES SAUCISSONS ET LES SAUCISSES

Le monde des saucissons et des saucisses italiennes est un monde sans limites. Chaque région ou, plus précisément, chaque zone, a développé ses propres productions qui diffèrent en fonction de la pâte et des mélanges d’épices et d’herbes utilisées. Heureusement, en Italie, nous bénéficions d’une production artisanale très importante qui répond à des critères d’authenticité et de tradition, sans utilisation d’additifs chimiques ou de colorants. Parmi les plus connus, partons de la Lombardie avec le salame di Milano, de dimensions notables, à la pâte fine et tendre agrémentée de poivre et, parfois d’ail ; et le salame Brianzolo DOP, finement ou moyennement haché, de couleur rouge rubis, avec une chair souple, compacte, et de saveur douce.

Nous vous conseillons aussi de goûter, si vous ne l’avez pas encore fait, le salame di Varzi, dans la région de l’Oltrepò pavese, qui possède une saveur douce et un arrière-goût légèrement amer donné par le vin rouge et l’ail.

Avec l’arrivée des Lombards à Pavie en 517 est introduit l’élevage de cochons à l’état sauvage. Varzi se trouvait le long de la Via del Sale, la route du sel, qui va de Gênes à Milan, et souvent les marchands s’y arrêtaient pour y dormir, échangeant un peu de sel contre un lit. Les ingrédients fondamentaux pour la production du saucisson étaient donc à disposition. La consécration officielle remonte au XIIe siècle, quand les marquis Malaspina, seigneurs du territoire, commencèrent à servir le saucisson de Varzi dans leurs banquets.

Le salame d’oca di Mortara IGP, est fabriqué avec 30 % de morceaux maigres d’oie, 30 % de morceaux maigres de porc et 30 % de graisse de porc, et il est embossé dans de la peau d’oie, noué à la main, cuit puis refroidi. Le salame Piemonte DOP a la particularité d’être fabriqué avec l’ajout de vins de la région, parmi lesquels le Dolcetto, le Barbera et le Nebbiolo. Les salamini alla cacciatora, à la mode chasseur, si petits que l’on peut les manger en une bouchée, étaient autrefois consommés par les gardes forestiers et les chasseurs, tant ils étaient faciles à transporter pour une collation rapide. En Émilie, le salame di Felino IGP et le Piacentino DOP se mangent surtout comme hors d’œuvre ou amuse-bouche, accompagnés de la typique torta fritta ou pour farcir une petite miche de pain. De forme étroite et allongée, allant jusqu’à 50-60 cm, ils sont d’une belle couleur rouge brillant et contiennent de petits lardons. Le Strogolino, un long saucisson de petit diamètre, maigre, doux et délicat, est un véritable délice. Il est produit en quantités limitées en utilisant les chutes de son grand frère, le Culatello. Le meilleur est celui de Zibello, produit dans la province de Parme. Le salame di cinta senese toscano, produit avec la viande extraordinaire de porcs presque à l’état sauvage, se nourrissant de glands et de tubercules, est très parfumé, doux, mais à la saveur intense. Toujours en Toscane, la Finocchiona, au diamètre plutôt large et à la consistance tendre, est enrichie de graines de fenouil sauvage, d’où elle tire son nom. Le piment, le fenouil et d’autres saveurs typiques du maquis méditerranéen comme la myrte caractérisent la Salsiccia Sarda Piccante en forme de u.

Toujours dans le sud, l’art du jambon trouve son expression dans des produits d’excellence surtout en Calabre. Outre les capocollo, sopressata et pancetta DOP (Denominazione di Origine Protetta) qui sont de véritables symboles de la culture gastronomique locale, il faut citer la Salsiccia Calabrese DOP. Pour la fabriquer, on utilise les mêmes morceaux que pour la sopressata, des morceaux moins nobles, et on la parfume avec du piment doux et piquant. En Sicile, on trouve le Salame Sant’Angelo IGP, près de Messine, produit avec la viande de porc noir des monts Nebrodi, une race autochtone qui vit dans un parc luxuriant et préservé, utilisée également pour la production de jambons, de lard et de pancetta.

LES AUTRES SPÉCIALITÉS

On ne peut pas ne pas mentionner le lard, la pancetta et le guanciale, qui ont en commun leur emploi en cuisine. Le lardo est une charcuterie très ancienne, employée comme condiment depuis le Moyen Âge, et il provient des couches du tissu adipeux dorsal. Les meilleurs sont le lardo di Arnad DOP, dans le Val d’Aoste, qui fond en bouche en libérant les arômes d’herbe et de baies utilisées pendant l’affinage et le lardo toscano di Colonnata IGP, qui vieillit avec des épices, des herbes et différents arômes dans des bacs de marbre de Carrare. La pancetta, qui peut être enroulée ou étendue, est prélevée dans les tissus gras du ventre (la pancia) du porc et elle est produite dans toutes les régions d’Italie. Sa popularité a été légèrement éclipsée ces dernières années par celle du guanciale, une charcuterie issue de la joue (la guancia) du porc et utilisée surtout dans la cuisine romaine comme ingrédient principal du célèbre trio de pâtes : carbonara, amatriciana et gricia (pâtes au guanciale et au pecorino).

Les charcuteries à base de bœuf, de sanglier, de cheval, de canard, d’oie, de chèvre, de chevreuil ou de cerf sont certes moins populaires que celles de porc mais elles sont volontiers consommées pour l’originalité de leur goût, leurs spécificités locales ainsi que dans des contextes religieux et culturels. Les régions montagneuses et en particulier l’arc alpin et la chaîne des Apennins sont les lieux les plus importants de production.

La bresaola de la Valtellina, par exemple, produite au pied des Alpes lombardes, est une charcuterie de viande bovine salée et séchée, souvent préparée avec des morceaux de viande noble et très maigres, comme la punta d’anca [partie la plus noble de la cuisse de bœuf, ndr], le filet et le faux-filet. Il s’agit d’une charcuterie typique qui se prépare en carpaccio, coupée en tranche très fines et assaisonnée d’huile et de citron et agrémentée de copeaux de parmesan ou de grana padano et roquette fraîche.

 La viande Salada trentina y ressemble beaucoup, mais elle est aromatisée avec une saumure qui la garde plus tendre, et elle se mange aussi bien crue que cuite. La Pitina friulana est une boulette de viande ovine ou caprine, parfumée avec des épices et de l’ail, roulée dans la farine de maïs puis fumée pour être conservée. La viande d’animaux sauvages et domestiques est en revanche utilisée pour produire des charcuteries de petit calibre. Plus maigres que les charcuteries de porc et de couleur sombre, elles ont un goût bien plus prononcé et légèrement « sauvage ».

Toutes ces charcuteries de caractère sont à déguster avec des vins corsés et peu tanniques comme un rouge Valpolicella Ripasso, mais aussi avec des spumanti Metodo Classico, bien structurés et pas trop secs, ou des vins blancs légèrement aromatiques comme le Friulano, le Gewürztraminer ou le Ribolla Gialla.

Ainsi se termine notre voyage à la découverte des charcuteries italiennes, vaste patrimoine dont chaque territoire a su conserver les caractéristiques. De nombreux autres produits remarquables ont été ici ignorés mais je suis certaine que vous aurez l’occasion de les découvrir en vous rendant dans le Bel Paese !

A.P.