Des doubles-pages. Sur chacune d’entre elles : un court récit sur une page et sur l’autre la photo de celui ou de celle qui se raconte. C’est un beau voyage que nous propose la photographe Cecilia Garroni Parisi. Un voyage unique (celui qui mène de l’Italie à la France) mais des récits multiples, qui s’entrelacent ou se contredisent. Ils finissent cependant par former un tout qui fait s’interroger sur son identité et ses racines.
Il y a des histoires plus dures que d’autres. Comme celle de cette « cadette » donnée à sa tante qui la réclame pour aller travailler en France avec elle. Elle a alors treize ans et demi. Il y a aussi le récit de Santine dont le père meurt à 37 ans, à peine débarqué en France, la laissant avec sa mère et ses six frères et sœurs. D’abord « bonne », elle s’émancipera finalement dans la condition d’ouvrière.
Une histoire universelle
Bien des fois dans le texte de Cecilia Garroni Parisi, le mot « italien » pourrait être remplacé par une autre nationalité. Ce qui unit les protagonistes de ce livre reste la traversée des Alpes mais leurs expériences de vie sont universelles. « J’avais envie que ça parle au-delà des italiens » confie d’ailleurs l’auteur. « La question des origines, tout le monde se la pose plus ou moins. Mais quand on a dû partir, on est obligé de se la poser ».
Et ce déracinement est plus ou moins bien vécu, et ce peu importe la génération dont on est issu. « Je ne me suis profondément implanté nulle part à vrai dire, confie Marco, mais je me sens bien n’importe où ». Le bientôt sexagénaire se pose finalement la même question que des plus jeunes que lui qui n’ont pas tous les mêmes réponses ou sensations.
Chez soi quelque part
« Si tu le vis bien, la position d’expatrié est privilégiée : que tu partes ou que tu reviennes, tu rentres toujours chez toi » explique, apparemment apaisé, Enrico. « Vivre à l’étranger m’a rendue italienne. Avant je n’y pensais jamais, j’étais comme tout le monde » raconte Gaia.
« Je ne suis pas française mais je ne suis plus italienne » confie en revanche Valeria. « Par exemple quand je rentre chez moi, si je parle, ma mère me demande pour quelle raison je chuchote. Tandis qu’ici, on me demande pourquoi je parle si fort et si je suis énervée ».
La question de la langue
La question de la langue et de la communication que cette dernière permet d’entamer, ou pas, est également remarquablement évoquée dans cet ouvrage. Cesare, acteur, explique qu’en Italie on a besoin de beaucoup moins de formules de politesse pour demander une baguette de pain par exemple. C’est l’intonation de la voix qui fera la différence.
Fabio, pourtant directeur d’un institut culturel, et en France depuis bientôt trente ans, se demande toujours s’il n’aurait pas pu mieux exprimer ce qu’il voulait dire. « Une deuxième langue, même maîtrisée, reste une deuxième langue » reconnaît celui qui est aussi journaliste. Illustration concrète de ce bilinguisme, les textes du livre sont à la fois retranscrits en français et en italien. La première langue écrite étant celle dans laquelle l’interlocuteur a choisi de s’exprimer.
Une résonnance particulière
« La traversée des Alpes » prend enfin une résonnance très particulière à l’heure où notre frontière franco-italienne devient de plus en plus hermétique. Emanuele, universitaire et un des témoins du livre dit d’ailleurs très justement ceci :« Je crois que fermer les frontières par peur de la contamination est une erreur. C’est justement cette contamination qui est intéressante ».
« La traversée des Alpes » de Cecilia Garroni Parisi, Editions « Contrejour ».
Entretien avec l’auteur : « Je suis italienne en France. J’avais envie de voir d’autres récits de vie, d’autres destins ».
Comment avez-vous choisi les protagonistes de votre livre ?
Ça a démarré par du « bouche à oreilles » avec deux ou trois copains. Mais je ne voulais pas rester qu’à Paris et je voulais rencontrer plusieurs générations. J’ai beaucoup bougé. J’ai lancé un appel aux associations italiennes via le consulat. Quand j’ai trouvé un éditeur, j’ai un peu plus ciblé ma recherche. Je voulais rencontrer un mineur mais je n’en ai pas trouvé. Alors j’ai rencontré le fils de l’un d’entre eux. J’ai aussi recueillis deux témoignages de personnes nées avant la seconde guerre mondiale. J’ai aussi cherché un réfugié politique.
Comment s’est établi le lien avec eux pour qu’ils arrivent à se raconter et livrent ces histoires et leurs souvenirs souvent intimes ?
Au départ je ne pensais pas faire ce livre seule. Parce que faire les photos et recueillir les récits en même temps, ce n’est pas simple. Le photographe doit d’habitude garder une certaine distance avec son sujet. Là, finalement, arrivé sur place, je commençais par l’histoire dont je n’ai gardé que quelques phrases. Les photos, en revanche, sont beaucoup plus chargées. Il y a beaucoup d’objets que les personnes gardent chez elles ou qu’elles ont tenu à me montrer. L’intérêt c’est l’ensemble, textes et photos. Je ne veux pas d’ailleurs que ce livre soit simplement classé dans les « livre-photo ».
Se sont-ils confiés facilement ?
Oui, en général, ils avaient envie de parler. Mais de façon très simple, modeste. Beaucoup me disaient : « Mon histoire n’a rien d’intéressante ». Mais le fait d’être parti, c’est déjà quelque chose. Je ne voulais pas qu’ils me dévoilent leur récit par téléphone, avant de les rencontrer. Mais que ce soit pour les photos comme pour les textes, je sentais très vite ce que j’allais garder. Certains textes ont été relus, notamment par les enfants.
Quelles ont été leurs réactions justement après la parution ?
Dans l’ensemble, ils sont tous très fiers. Les plus anciens notamment se sont reconnus.
Aussi une exposition…
Ce travail de Cecilia Garroni-Parisi a aussi donné lieu à une exposition photo en décembre et janvier dernier à Paris. Une vingtaine de portraits de ses témoins y avaient été affichés dont trois en grand format. « Je les voulais quasiment à taille humaine » explique l’artiste. L’auteur cherche d’ailleurs actuellement à la faire tourner en France. Avis aux amateurs…
Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.