Il portait des lunettes et tirait sur sa pipe, et il marchait, pensif, goûtant le silence et méprisant les automobiles. « À pied ! – disait-il – C’est à pied que l’on va véritablement à la campagne. On emprunte les sentiers et on longe les vignes, on voit tout. C’est la même différence qu’entre regarder de l’eau et sauter dedans. » Cet écrivain s’appelait Cesare Pavese, et il fut l’un des plus grands et des plus poignants poètes italiens du XIXe siècle. Lorsqu’il mourut, se suicidant par amour d’une femme, il laissa dans un tiroir le poème : « La mort viendra et elle aura tes yeux ». Sa terre – cette contrée vallonnée qu’il aimait traverser à pied, au cœur de laquelle il était venu au monde par un jour de septembre 1908 – c’était les Langhe piémontaises.
C’est là qu’il situa son roman le plus célèbre, La lune et les feux : une petite fresque populaire, faite de paysans et qui sent bon la terre. Une œuvre simple et authentique, exactement comme ces campagnes. Nous sommes entre les provinces d’Asti et de Cuneo, derrière les Alpes maritimes et à la limite de la grande plaine du Pô. Peu d’endroits, en Italie, parviennent à condenser en si peu d’espace tant d’histoires différentes. Il n’y a pas que la littérature : il y a les châteaux et les monuments artistiques ; il y a les petits bourgs médiévaux, accrochés aux versants des collines ; il y a le vin rouge et la truffe blanche, célébrés et convoités dans le monde entier ; il y a la nature, sauvage et excessive comme rarement elle sait l’être ; et il y a les vieilles légendes populaires qui parlent de fantômes et de sorcières – les terribles « Masche », au visage sombre et rugueux –, de partisans, de vieilles auberges et de fiasques de vin. Alba est une petite ville tranquille de trente mille habitants et cent tours très anciennes. C’est le cœur même des Langhe, et les Romains, qui y firent passer des routes importantes, l’avaient déjà compris. La mythique « Magistra Langarum », que l’on peut encore en partie parcourir aujourd’hui, est l’une d’entre elles. À « Alba Pompeia » – ancien nom latin de la ville – naquit l’empereur Publius Helvius Pertinax, dont les co-régionaux étaient alors déjà experts dans l’art de la viniculture, qu’ils exerçaient avec une passion sincère au nez et à la barbe de la politique et de ses guerres.
Une vingtaine de siècles plus tard, ces mêmes contrées donneront naissance à un autre illustre protagoniste de l’histoire italienne : le romancier Beppe Fenoglio qui, se référant à sa terre natale, écrira : « Je gravai dans ma mémoire les campaniles, les tours et la concentration des maisons, et puis le pont et le fleuve, l’eau la plus grande que j’aie jamais vue, mais si éloignée de la plaine que je pouvais seulement m’imaginer le bruit de ses courants. » La maison natale de Fenoglio, située sur la piazza Rossetti, mérite une visite. En face de l’entrée se trouve une petite sculpture en fer. « Johnny pensa qu’un autre partisan aurait été comme lui, debout sur la dernière colline, regardant la ville au soir de sa mort. L’important, c’était qu’il en restât toujours un », peut-on lire sur sa base. C’est le monument au partisan Johnny, héros « fenoglien » par excellence et personnification littéraire des nombreux jeunes qui, entre 1943 et 1945, écrivirent sur ces collines quelques-unes des pages les plus épiques de la résistance italienne.
Andrea Sceresini
Andrea Sceresini (Sondrio, 1983), journaliste freelance, travaille actuellement pour la chaine télé La7. Il est auteurs se plusieurs reportages de guerre pour les journal “La Stampa”, “Il Foglio”, “il Fatto Quotidiano” et “l’Espresso”. Il a gagné le prix “Igor Man” et “Ivan Bonfanti” pour ses correspondances de l’Ukraine. Pour la maison d’édition Chiarelettere, il a écris “La seconda vita di Majorana”, avec Giuseppe Borello et Lorenzo Giroffi (2016).