Si la proposition de loi Rampelli a, comme la loi Toubon en France, l’intention de promouvoir et protéger la langue italienne, elle ajoute, par rapport à la française dont elle s’inspire, des dispositions qui rappellent l’une des périodes les plus sombres de notre histoire.

Durant les dernières semaines, la nouvelle d’une proposition de loi présentée par un groupe de députés menés par le parlementaire du parti Fratelli d’Italia, Fabio Rampelli « pour la protection et la promotion de la langue italienne » a fait beaucoup de bruit. En réalité, la proposition avait été présentée en décembre 2022, et elle reprenait une autre proposition, presque identique, présentée par le même député en 2018, mais, pour des raisons mystérieuses, la presse italienne s’en est rendu compte seulement début avril, et la nouvelle a fini par devenir virale, au point de franchir les frontières nationales (en France aussi plusieurs journaux en ont parlé). Entre autres choses, la loi prévoit l’obligation de l’utilisation de la langue italienne dans les actes officiels des entreprises publiques et privées, dans les écoles et les universités, ainsi que « l’enrichissement de la langue italienne » avec « des termes adaptés pour exprimer toutes les notions du monde contemporain, en favorisant la présence de la langue italienne dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication ». Jusque-ici, pourquoi pas. Ce qui a frappé l’attention des médias, cependant, c’est surtout l’article 8 de la loi, celui qui prévoit, en cas de violation, des amendes qui vont de 5 000 à 100 000 euros. Inutile de dire que les commentaires de la nouvelle sont devenus immédiatement viraux, en particulier sur les réseaux sociaux. Parmi les internautes, nombreux sont ceux qui ont pris la chose avec humour, en demandant si désormais nous devrons appeler le smarphone telefono intelligente et le hot dog, cane caldo, ou en proposant des traductions ironiques de marques très italiennes comme Pocket Coffee qui devient Caffè tascabile, ou l’opérateur téléphonique Wind rebaptisé Vento. D’autres ont fait remarquer que c’est justement le gouvernement Meloni qui a introduit pour la première fois un ministère du « Made in Italy » et que, seulement quelques jours après la diffusion de la nouvelle, cette même Premier ministre a proposé de créer un lycée qui porte le même nom. D’autres encore, probablement les plus nombreux, ont rappelé, inquiets, l’autarcie linguistique prônée, et en partie réalisée, durant le Ventennio fasciste, établissant un lien entre ce régime et le gouvernement actuel. Rappelons, en effet, qu’à partir des années 1920, le gouvernement de Mussolini mit en place une politique de purisme d’État où la lutte contre les dits forestierismi [mots empruntés à une langue étrangère, ndr.] jouait un rôle crucial. Parmi les diverses politiques mises en œuvre à l’époque, il y avait la traduction des mots étrangers déjà largement utilisés en italien. Parmi ces derniers certains sont restés, par exemple autista pour chauffeur, ou annunciatore pour speaker, mais beaucoup d’autres n’ont eu aucun succès et ils ne sont évoqués aujourd’hui que pour leur caractère pittoresque. C’est le cas par exemple de arlecchino pour cocktail, ou disco su ghiaccio pour hockey.
En réalité, le risque d’un retour à l’autarcie linguistique en Italie semble plutôt éloigné. Le même Rampelli a déclaré, quelques jours après la nouvelle, que dans les bars italiens on pourra continuer à manger des croissants. Plus sérieusement, il semble difficile, dans un monde globalisé, hyperconnecté et où la communication joue un rôle prépondérant, qu’une langue puisse être imperméable, même partiellement, à tout apport extérieur. Des nouvelles technologies au sport, les termes étrangers, en particulier anglais, qui entrent presque quotidiennement dans la langue italienne sont innombrables. Exiger qu’ils soient systématiquement traduits dans tous les contextes demanderait un effort énorme qui serait probablement voué à l’échec. De plus, la vitalité de la langue se mesure également à sa capacité à s’enrichir, y compris de mots empruntés à d’autres langues, et éventuellement de les faire siens. Quand nous chattiamo (tchattons) avec quelqu’un en ligne ou que nous le tagghiamo (taguons) dans un tweet, nous ne parlons pas simplement anglais, mais nous avons transformé des mots étrangers en verbes de la langue italienne, qui en respectent la conjugaison et les règles.
Finalement, quand on regarde attentivement, les problèmes posés par la loi sont autres. Tout d’abord, elle mêle des considérations sur la beauté et la complexité de l’Italie (qui sont évidemment subjectives) à la nécessité de protéger notre patrimoine, au droit pour chaque citoyen de pouvoir s’exprimer, d’être informé dans sa langue maternelle. Si cette dernière proposition est pleinement louable, de sérieux doutes émergent sur l’efficacité de la loi proposée pour y parvenir. En effet, le texte se réfère directement à la loi Toubon, loi en vigueur en France depuis 1994, considérée par beaucoup comme un rempart de protection du français. Or, quiconque a eu affaire à la politique et à l’administration françaises sait à quel point la langue de ces dernières peut être obscure, non pas tant en raison de l’utilisation de mots étrangers, mais de l’abus de sigles, formules inutilement complexes, euphémismes, etc. De plus, s’il est vrai que durant les dernières décennies la politique italienne a abusé de mots anglais, souvent d’ailleurs inexistants dans la langue d’origine (job act, cashback, navigator), la langue administrative (et pas seulement), devrait d’abord balayer devant sa propre porte. Pendant des années, des linguistes civilement engagés comme Tullio De Mauro se sont battus pour que la langue de l’administration utilise un lexique commun et des formulations simples et claires. La proposition Rampelli contient plusieurs parties pompeuses, mais inutilement complexes et vides. Ce serait justement cela le premier obstacle à lever, si l’objectif est véritablement d’avoir une langue démocratique et accessible à tous.

Fabio Montermini
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Originaire de Parme (Italie) chercheur en linguistique au CNRS (laboratoire CLLE-ERSS de Toulouse, dont il est directeur adjoint depuis 2010), Fabio MONTERMINI a enseigné dans les universités de Parme, Milano Bicocca et Toulouse le Mirail.
Il s'occupe principalement de morphologie de l'italien et des autres langues romanes. Depuis quelques années, il collabore avec la revue RADICI en proposant des articles de vulgarisation linguistique mais aussi des sujets d'actualité sur la société italienne et l'émigration. Il est membre du comité de direction de l'Institut de Linguistique Française et du comité exécutif de la Société de Linguistique Italienne.