À l’extrême sud-est de l’Italie, dans le talon de la Botte, se niche une région façonnée par l’Histoire depuis des millénaires et pourtant encore préservée du tourisme de masse : les Pouilles. RADICI vous propose une promenade sur ces terres de vestiges antiques, d’églises et de châteaux, de villages blanchis à la chaux, depuis le Mont Gargano à la baroque Lecce, en passant par l’incontournable Bari, joyau de l’Adriatique, et jusqu’à Castel del Monte, forteresse à l’architecture unique et empreinte du temps des Croisades.
La Pouille, terre de contraste ? Qu’importe ! Ce qualificatif passe-partout lui sied à merveille. À merveilles devrait-on ajouter tant son patrimoine naturel et artistique est multiple.
Le Puglie ? L’Apulia ? La Puglia ? C’est quand même un drôle de nom pour cette langue de terre, jetée au talon de la Botte, dans la région du Gargano, montagne de cette plaine sans montagnes, au cap de Santa Maria di Leuca où mers Adriatique et Ionienne se rabibochent en un doux secret.
Certes, l’Administration italienne a tranché pour la dernière dénomination en 1921 mais nombreux sont encore les utilisateurs à recourir au vocable de Pouilles, non pour exorciser une (fausse) malédiction millénaire mais par sorte de mépris pour ce joyau du Sud qui ne le mérite absolument pas.
Quel que soit le vocable adopté, la Puglia ne laisse aucun répit pour être surpris.
Si le temps semble s’être figé à l’extinction des embarquements pour les croisades, l’Histoire n’a cessé de poursuivre son cheminement modelé par les envies des conquérants d’Illyrie, d’Épire, de Rome, de déployer les tentacules des Ostrogoths, des Byzantins, des Lombards, ou de forger les ambitions des Normands, des Souabes, des Angevins et des Aragonais, préludes à l’installation séculaire des Bourbons… De ces confrontations culturelles sont nés des enfants architecturaux hors du commun, comme autant de sentinelles veillant, à l’image des tours sarrasines disséminées le long de l’Adriatique, à ce que les strates des différentes époques s’empilent sans heurt ou s’insèrent les unes dans les autres, laissant à la précédente la force de subsister pour mieux permettre aux bases de la suivante de s’épanouir.
S’affranchir du temps
Mais revenons à ce Gargano qui semble effrayer le pèlerin moderne – automobiliste – arrivant par le nord, longeant la côte Adriatique. Il ne s’agit que d’un promontoire cachant une réserve naturelle où faune et flore se la coulent douce pour survivre à l’éternité ; mais il leur faut du courage pour prospérer dans cette vaste zone où le Fortore et l’Ofanto sont les deux seules rivières de cette région sans pluie. Ce sont aussi le Lesina et le Varano, deux lacs de cette Pouille sans lacs et sans eaux. C’est encore cette protubérance physique ceinte par la mer et le grenier à blé du Tavoliere, c’est encore une plage sauvage abritée au fond d’une crique, c’est encore une grotte vertigineuse où la mer s’engouffre pour échapper à ses furtives colères. C’est encore une tour sarrasine guettant le retour d’un hypothétique croisé… vers les îles Tremiti où Diomède, héros de la guerre de Troie, fut jeté par la tempête avant de baptiser cet endroit de terre heureuse.
Pèlerin, il suffit de se laisser porter vers le sud pour, soudain, être enveloppé dans de magnifiques baies, à commencer par celle des Zagare avant d’arriver à celle de Mattinata en musardant sur une longue langue sablonneuse… l’envie de s’affranchir du temps te taraude soudainement, te pousse sur les sentiers de la forêt sombre, à serpenter entre les murailles végétales de plantes millénaires de ce Gargano sacré ponctué de sanctuaires où se reposaient tes confrères du Moyen Âge, en proie au dialogue intérieur, avant la grande inconnue du Moyen-Orient. Par la magie des lumières et du silence, la recherche de soi te gagne peu à peu, descendant doucement sur les épaules pour se transformer en tressaillements répétés. Le temps de se ressaisir, et te voilà à San Giovanni Rotondo au sanctuaire de Padre Pio, devant la tombe où chacun apporte sa douloureuse espérance.