Un bien curieux ouvrage que celui-ci. Il ressuscite (car traduit en français) et revient de loin, 1963. Mais se demander qui est son « prochain » est plus que jamais d’actualité à l’heure des « gestes barrières » et des meutes en terrasses.
Sans doute, si votre italien est, comme le mien, tout juste « respectable », ne connaissez-vous pas Luigi Santucci. Et pour cause, « ton prochain » est le premier de ses livres traduits en français. Comment résumer une vie si riche, et longue, que celle de Santucci ?
Il faudra pour aller à l’essentiel se dire que Santucci était un auteur dont « la religiosité était indissociable de l’écriture », avec « un humour si humain, si sanguin » comme l’écrit Claudio Magris. Si l’écrivain fait appel à notre cœur, il n’est pas pour autant un béat.
Une postface à lire en premier
Pour mieux l’appréhender, il faudra aussi se référer à la remarquable postface rédigée par le traducteur de l’ouvrage. Christophe Carraud nous y explique notamment que « Ton prochain », écrit pourtant il y a près d’un demi-siècle reste, plus que jamais d’actualité. Je recommande d’ailleurs de lire cette postface en premier.
« Les circonstances où nous sommes actuellement plongées ont cette qualité particulière de nous inviter à nous pencher sur les vertus de la proximité. Le livre est découpé « en une collection de quatorze moralités, ou si l’on préfère, de petites médiations » est-il également expliqué par l’éditeur.
Des moralités mais pas de « moraline »
Et le traducteur de Santucci de compléter : « cela vaut mieux que de déverser de la « moraline « tous azimut » comme celle que nous recevons par doses déraisonnables, multi-quotidiennes et empoisonnées (le cancer de « l’information continue » et de « la transparence » d’une opacité irréductible) au point que la contagion semble se faire beaucoup moins d’un corps à un l’autre que des âmes au corps ».
Ce qui rend cet ouvrage également exceptionnel (et qui nous en fait mieux connaître son auteur) c’est ce rajout pour le moins insolite : le texte du testament vocal (enregistré) de Santucci à ses enfants et petits-enfants. Testament titré « fragments d’un autoportrait ».
Un testament-vérité
« Ma vie a été une vie « privilégiée » et, j’ose le dire, heureuse » avoue l’écrivain. « Non, aucune vie ne peut être anéantie, poursuit l’ancien Résistant, notamment parce qu’elle est déposée en vous mes chères créatures ».
Et l’auteur d’expliquer pourquoi il a fait de l’écriture et des lettres (qu’il enseigna) sa vie : « la vocation, le besoin, la volonté de louer. Louer le plus de choses possibles. Personnes, lieux, rapports humains, sentiments, auteurs et leurs mots, ou, si ce sont des musiciens, leurs musiques ».
Passer sa vie à louer
« Moi, j’ai loué, j’ai cherché à applaudir, à ressusciter dans la louange, le plus de choses que j’ai pu ». Une déclaration qu’il est bon d’entendre en ces temps où afficher dénigrement et cynisme vous met plus facilement en avant qu’admirer.
Alors que peut bien signifier aujourd’hui ce mot de « prochain » ? Trop souvent « la victime » si l’on s’en réfère au chapitre intitulé « le Bon samaritain » ? Et Santucci de rappeler que « les Samaritains, entre autres habitants de la Palestine, étaient ceux que leur ignorance crasse, le caractère peu recommandable de leurs mœurs, leurs sentiments religieux considérés comme hérétiques, exposaient au plus grand mépris ».
On ne choisit pas son prochain
Notre prochain est tout à la fois celui qui nous est proche, inconnu, nous entoure, nous aime, nous déteste. Bref « nous devrions voir un peu tout le monde comme « prochain » » exhorte Santucci.
L’auteur nous proposer pour cela « un stratagème étrange : imaginer l’enfance de notre ennemi pour nous délivrer de la malédiction de la haine et tenter retrouver notre « prochain » dans l’homme détesté ». Car en y pensant, nous ne choisissons pas notre prochain et sommes obligés de vivre avec lui.
Le milanais achève son testament par ce message aux siens : « Nous aimer, nous estimer, nous-mêmes et nous apprécier suffisamment est un devoir, même un devoir biblique (…) Soyez généreux, « toujours », l’un envers l’autre, chacun envers chacun ».
« Ton prochain » de Luigi Santucci, traduit par Christophe Carraud, aux Editions Conférence.
Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.