L’écrivain voit dans le conflit de 14-18 un élément fondateur de sa vie. Ses aspirations garibaldiennes ne l’empêcheront pas de rejoindre, au sortir de la guerre, le parti fasciste. Mais ça c’est une autre histoire…
« Ce fut pour moi, garçon de seize ans, une école incomparable cette Légion garibaldienne : composée presque exclusivement d’ouvriers, socialistes, républicains, anarchistes et syndicalistes révolutionnaires. Beaucoup étaient des travailleurs émigrés depuis de nombreuses années en France, qui payaient ainsi leur tribut de reconnaissance au peuple qui les avait accueillis et leur avait non seulement donné un travail honnête, et bien rétribué, mais aussi la liberté française, la justice sociale française, la démocratie française. Mais beaucoup étaient venus, comme moi, d’Italie, non seulement pour défendre la France à l’heure du danger, mais pour affirmer le droit du peuple italien à la liberté et à la justice ».
Ainsi explique son engagement Malaparte dans un texte complètement inédit et traduit de l’italien par Nathalie Castagné. Un texte que vous pouvez retrouver dans le remarquable « Cahier de l’Herne » qui est consacré à l’écrivain. L’ouvrage consacre son premier chapitre aux récits que fait le Toscan, au nom de naissance de Kurt Erich Sucker, de sa grande guerre avec des passages auxquels on goûtera peu. Comme cette « lettre des volontaires de Prato » où le très jeune Curzio (on pardonne tout à la jeunesse) explique qu’« une attaque à la baïonnette est quelque chose de merveilleux ». A condition sans doute que ce ne soit pas ses propres tripes que l’on voit de répandre au sol…
Au milieu des tranchées, la poésie, quand même
Au-delà de ces récits de tranchée enflammés, la poésie resurgit toutefois quelques années plus tard de ses souvenirs de combat. Comme dans « Les morts de Bligny jouent aux cartes » écrit en 1937 et qui reprend cet adage selon lequel « l’italien sème son pays partout où il va », adage qui sera repris dans son remarquable ouvrage « ces chers italiens » publié après sa mort. Ainsi le poète décrit ses compatriotes et leurs régions sur le front français.
« Oh regarde, en bas, dans la cuvette de Champlat,
les Calabrais du général Cartia,
regarde les bois noirs aux arbres durs,
les feuillages dorés ont des traces de ronces, et ressemblent aux forêts,
de Calabre qui descendent à pic sur les vergers du Jonio.Oh regarde là-bas,
Regarde les Ombriens de la Brigade « Alpi »,
Ces peupliers d’argent comme des oliviers, et la terre,
Pâle sous le jeune feu des vignes :
La verdure respire tranquille comme autour de Spoleto,
De Magione, de Pérouse, de Spello, de Todi, d’Orvieto.Et là-bas vers Vrigny, quelle douceur lombarde,
Dans les champs, fière douceur des fantassins lombards
Tombés pour défendre la route de Paris,
Morts en riant comme meurent les macaronis. »
Gazé sur le champ de bataille
Mais retour à la réalité sans fard… Comme beaucoup de ses camarades Malaparte sera blessé. Son séjour en hôpital (et peut-être une vie raccourcie) il le devra au fameux gaz moutarde. « Les soldats français qui étaient là se sont enfuis en hurlant : « le gaz, le gaz ! ». Mais comme j’avais l’impression de respirer normalement, je n’y ai pas prêté attention » racontera-t-il dans une lettre à son père. A son père, le combat, l’hôpital, les médailles attendues, à sa mère, la célébration de la paix.
« Après la signature, quand les canons ont commencé à tirer et que les mutilés ont défilé devant les représentants allemands (très pâles) comme pour les condamner au remords perpétuel et à la peine (mais les allemands sont-ils les seuls à avoir voulu la guerre ?), la foule a été prise d’un véritable délire. J’ai essayé de traverser l’esplanade du parc mais on me sautait au cou, on me tirait le nez, on essayait de m’arracher qui le béret, qui les épaulettes, qui les décorations, qui les insignes en souvenir, on m’embrassait, on me hurlait dans les oreilles « vive l’Italie », on me lançait des regards invitants, on m’invitait sans me regarder, enfin j’en ai sué des litres pour me tirer d’embarras ».
« Dégoûté par la guerre »
Retour au texte inédit retranscrit par les « Cahiers de l’Herne » auquel je faisais référence tout à l’heure. Malaparte s’y dit « dégoûté par la guerre ». Il n’en reste pas moins que cette expérience humaine traumatisante, subie dès l’âge de seize ans rappelons-le, restera malgré tout pour lui « la plus jolie page de ma vie » comme il l’écrit. Cette période de sa vie constitue également un acte fondateur dans sa pensée politique.
« La Légion garibaldienne était composée de « fascistes » : elle fut pour moi l’antichambre du fascisme. Y prédominaient tous les éléments politiques et sociaux que je devais ensuite retrouver dans le fascisme. Les raisons de mon adhésion au fascisme ne peuvent s’expliquer que par cette expérience garibaldienne qui fut la mienne ».
Qu’est-ce que Malaparte met derrière ce mot de « fascisme » mille fois répété dans ses écrits ? Cela mériterait un autre article. Pourquoi Malaparte s’opposera, quasiment dès le début de sa prise de pouvoir, à Mussolini alors qu’il est adhérent au parti fasciste italien ? Peut-être parce qu’il a vu la guerre, tout simplement…
Pour aller plus loin :
L’Herne 123 « Curzio Malaparte », cahier dirigé par Maria Mia Pia De Paulis
Viva Caporetto de Curzio Malaparte. L’histoire de la bataille du même nom où plus de 330 000 soldats italiens perdirent la vie.
Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.