Oyez ! Oyez ! La nouvelle influenceuse dans le monde des merveilles italiennes est issue, et ce n’est pas rien, de notre plus illustre passé, la Renaissance : la Vénus de Botticelli. Mais la campagne promotionnelle lancée il y a quelques mois par le ministre du Tourisme italien se distingue par ses nombreuses maladresses et suscite sarcasmes et moqueries dans le monde entier, plusieurs mois après son lancement. Mais que s’est-il vraiment passé ?
FLAVIO APRIGLIANESE
On savait que la Vénus de Botticelli était une femme aimée et recherchée. En effet, cela fait des siècles qu’elle fait rêver dans ce tableau réalisé en 1494 par le maître florentin de la Renaissance. Chaque année, les visiteurs se comptent par millions à la Galerie des Offices de Florence et ils y vont aussi pour croiser son regard malicieux. Qu’elle soit belle, cela ne fait aucun doute, et sa nudité a quelque chose de transgressif et d’innocent à la fois. Bref, le souffle magique de Vénus fascine depuis toujours.
Mais, malgré tout cela, l’actuelle ministre du Tourisme, Daniela Santanchè, a cru bon de lui donner un second emploi, plus moderne, paraît-il, et plus actuel : influenceuse virtuelle. C’est ainsi qu’est née l’idée de lancer en grande pompe une campagne promotionnelle au titre italo-anglais fort discutable : Open to Mervaviglia. L’objectif : transmettre l’image de l’Italie au monde entier dans une vidéo de trois minutes et faire en sorte que le Belpaese se remplisse encore plus de touristes, déjà nombreux (comme l’explique Asia Buconi dans son article page 40). La vidéo dit ceci : « Voici l’Italie, qui représente 0,5 % de la surface terrestre, et 0,83 % des habitants de la Terre ». La petite botte, poursuit la vidéo, c’est « l’histoire qui vous coupe le souffle et la nature qui vous le rend, ce sont des bras qui s’ouvrent tout grand, l’Italie est une porte ouverte sur l’émerveillement ». C’est de là que provient le titre anglais Open to Meraviglia. Vous vous demandez peut-être ce qu’il y a de surprenant dans cette histoire. Tout d’abord, le fait que Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni, n’ait pas crié au scandale en raison de l’utilisation de l’anglais au lieu de l’italien. En ce sens, le synchronisme n’a pas été des meilleurs au sein du gouvernement si l’on considère que, quelques semaines avant le lancement de la campagne Open to Meraviglia, le vice-président de la Chambre des députés, également représentant de Fratelli d’Italia, avait proposé une loi visant à sanctionner l’utilisation de mots étrangers dans l’administration publique. Cette loi, qui a fait rire tout le pays, prévoyait même des amendes fort salées pouvant aller jusqu’à 100 000 euros. Mais si les anglicismes étaient le seul problème…
Écoutez l’explication de la vidéo promotionnelle : « Nous avions besoin d’une égérie à la hauteur, pourquoi pas une influenceuse virtuelle contemporaine, mais qui soit aussi une icône de l’Italie dans le monde » : donc la Vénus de Botticelli. Et comme on ne pouvait pas la laisser nue comme Botticelli l’avait voulue, les graphistes se sont employés à l’habiller avec des vêtements adaptés à toutes les occasions. La voici donc en T-shirt rayé bleu et blanc, en tailleur ou encore en veste et en jeans. On la découvre même devant une bonne pizza avec la côte amalfitaine en toile de fond, ou en train de faire un selfie sur la place Saint-Marc, à Venise. La ministre est contente. Tout le monde l’est aussi ? Loin de là. Il a fallu peu de temps pour que les questions ironiques et moqueuses pleuvent sur Internet. L’une d’entre elles est devenue virale : « Vous voulez promouvoir la Slovénie à la place de l’Italie ? » Une phrase apparemment dénuée de sens. Sauf que si l’on regarde bien une scène de la vidéo, on voit de jeunes gens, hommes et femmes, assis dans une cour en train de porter un toast avec un verre de vin. Mais la scène est filmée dans un village slovène, tout comme l’est la bouteille de vin. Il y a fort à parier qu’ils ne l’ont même pas tournée eux-mêmes, mais qu’ils l’ont achetée, toute faite, à une agence de production de vidéos touristiques. Une maladresse qui a fait parler de la campagne dans le monde entier, avec des articles pleins d’ironie publiés sur les sites de CNN, du Guardian et de l’agence Reuters.
Et ce n’est pas tout. L’Enit (agence nationale italienne du tourisme), italia.it, a décidé de traduire tous les textes en plusieurs langues. Et comment s’y est-elle pris ? Eh bien, en confiant la traduction à l’un des nombreux traducteurs automatiques en ligne. C’est là que la tragédie atteint des sommets de drôlerie jamais égalés. Le plus hilarant était en allemand. Tenez-vous bien, les noms des nombreuses villes ont été traduits littéralement, de sorte que la ville de Prato (près de Florence) est devenue en allemand Rasen (herbe), la ville de Brindisi dans les Pouilles devient Toast, Camerino dans la région des Marches devient Garderobe et Scalea, en Calabre, devient Treppe (escalier) ! Alors, afin d’éviter de prolonger le ridicule, l’Enit a décidé de désactiver complètement le site en langue allemande ! Trop compliqué. Ah, j’oubliais, actuellement le site est seulement en italien, anglais et espagnol.
Pour une campagne qui a coûté 9 millions d’euros et qui a été confiée à l’une des plus importantes agences de publicité italiennes, Armando Testa, ce n’est pas mal. Et, comme dans les tragédies, c’est souvent l’effet domino qui l’emporte, il s’avère que ni l’Enit ni le ministère du Tourisme n’avaient enregistré le compte @venereitalia23 sur Instagram, Twitter ou Telegram, laissant certains utilisateurs se l’approprier. Face à ces négligences, même le turbulent critique d’art et sous-secrétaire à la culture Vittorio Sgarbi n’y est pas allé de main morte : « …la Vénus de Botticelli habillée en cycliste, portant l’inscription Open to Mervaviglia : un paradoxe. Mais la publicité, pour l’Italie, ce sont les œuvres d’art qui la font, sans qu’il soit nécessaire de les déguiser. Qu’est-ce que c’est que ça ? Et quelle est cette langue ? » Quoi qu’il en soit, avec ou sans Vénus recyclée, l’Italie reste, pour le meilleur et pour le pire, l’une des destinations préférées des touristes.
F.A.