Cela faisait 47 ans que les Azzurri attendaient le légendaire saladier de la Coupe Davis de tennis. Un exploit et un triomphe absolu pour le Tyrolien du Sud aux revers de feu. Grazie Jannik!
LORENZO TOSA
Il y a un moment destiné à entrer dans l’histoire du sport italien. Ou mieux, une date : celle du 25 novembre 2023. Ce jour-là, dans une Malaga azzurra comme jamais, Jannik Sinner, le prédestiné, a sauvé, l’une après l’autre, trois balles de match de Novak Djokovic, se rendant maître de la rencontre, puis, à peine une heure et demie plus tard, du double décisif avec Lorenzo Sonego, entraînant l’Italie vers la finale de la Coupe Davis. Le reste, le point décisif arraché le jour suivant contre l’Australie, le saladier (le trophée symbole de la Coupe Davis) qui revient en Italie 47 ans après le succès signé Adriano Panatta et Paolo Bertolucci au Chili, au fond, est la conséquence logique d’une année extraordinaire pour ce jeune homme efflanqué aux cheveux roux, originaire du Haut-Adige, à qui l’on prédit depuis des années un avenir de numéro un et qui s’est mis en tête, ces derniers mois, de montrer pourquoi.
Mais comment sommes-nous passés, en l’espace d’un an, de l’éternelle promesse en devenir au phénomène adulé de cette incroyable fin de saison ? Oui, parce que jusqu’à il y a à peine trois mois – pas des décennies – Sinner était la cible de prédilection d’une infâme campagne de presse orchestrée par certains des principaux quotidiens sportifs italiens (et régulièrement relancée par les réseaux sociaux) qui lui reprochaient de ne pas se sentir assez italien, de ne pas tenir à l’équipe nationale. « Coupable » d’avoir renoncé par précaution à une convocation, mais peut-être, à y bien regarder, que cela a aussi à voir avec ce nom et ce prénom si peu italiens, Jannik Sinner et avec sa façon de s’exprimer, trop peu italienne pour plaire au peuple joyeusement souverainiste et « melonien ». On lui reprochait d’être froid sur le terrain simplement parce qu’il ne laissait pas paraître ses émotions. Certains étaient même allés jusqu’à faire remarquer qu’il était plus à l’aise en allemand ou en anglais qu’en italien. Que d’hypocrisie dans un pays où ceux qui défendent la langue nationale sont surtout ceux qui peinent à écrire deux lignes sans faire de faute.
Puis, comme par magie dans un style pleinement italien, tout a changé. À partir du mois d’août, et avec une incroyable constance depuis le mois d’octobre, Jannik Sinner a commencé à gagner. Contre tous, y compris les plus forts, en simple comme en double, en solo comme en équipe nationale et sur toutes les surfaces, se hissant jusqu’au 4e rang mondial (exploit que n’avait alors réussi que Pannata en 1976) et transformant soudain la cabale médiatique contre lui en une véritable Sinner mania. D’un bond, ses détracteurs se sont rangés du côté du vainqueur. Ce talent précoce et inégal est devenu le champion capable d’exalter l’Italie, comme avant lui un nombre restreint d’élus : Alberto Tomba, Valentino Rossi, Federica Pellegrini, parfois Marco Pantani. Voilà le groupe d’élite auquel appartient Sinner, même si tout compte fait il n’a encore rien remporté de vraiment important, en dehors de la Coupe Davis et d’un tournoi de Master 1000 de milieu d’été au Canada.
Mais l’impression que fait Jannik Sinner sur le terrain est celle d’un champion désormais mature, complet et conscient, prêt à viser ce qui lui manque encore aujourd’hui : les tournois du Grand Chelem, les plus importants du monde.
Pourtant, c’est le Jannik hors du terrain qui est le plus touchant : un garçon humble, aimable, qui ne fait jamais d’histoires, ne se cherche pas d’excuses, ne fait pas de scènes ou de déclarations déplacées, en dépit de toutes les épines qu’il aurait pourtant le droit de s’enlever du pied. Pas de temps pour les polémiques dans le chemin tracé par Jannik Sinner depuis le village de San Candido vers la place de numéro un. Difficile de dire si 2024 sera l’année de sa consécration définitive, parce que le tennis est un sport psychologiquement difficile et les grandes ambitions sont un boulet qu’il devra montrer savoir gérer. L’année 2023 est certainement celle où le tennis (et le sport) italien a découvert son plus grand champion, celui que le pays attendait depuis un demi-siècle. La surprise, c’est qu’il ne s’appelle pas Marco Rossi ou Paolo Ferrari mais bien Jannik Sinner, qu’il a les cheveux roux, un coup droit mortel et qu’il a même montré avoir désormais appris à s’émouvoir et à émouvoir le public italien. Difficile de demander plus.
Lorenzo Tosa, 35 anni, giornalista professionista, grafomane seriale, collabora con diverse testate nazionali scrivendo di politica, cultura, comunicazione, Europa. Crede nel progresso in piena epoca della paura. Ai diritti nell’epoca dei rovesci. “Generazione Antigone” è il suo blog.