C’est en Italie que le café a acquis ses lettres de noblesse et qu’il a reçu une véritable consécration. Coutume sociale importante, il est un élément clef de la culture italienne.
Il y a celui que l’on prépare avec la traditionnelle Moka et qui bouillotte sur le feu, il y l’espresso classico ou le ristretto du bar, celui de la cafetière à piston et même le soluble. Chacun prépare et boit son café à sa façon. Pour beaucoup, il est fondamental pour bien commencer la journée et il est presque impossible de s’en passer. Nous les Italiens, nous cultivons une véritable passion quotidienne pour cette boisson chaude et énergétique. Toutes les occasions sont bonnes pour en siroter une petite tasse, appuyé au comptoir du bar, seul ou en compagnie, pour échanger deux mots avant de se rendre au travail : le matin, le café réveille, après le repas, il aide à digérer, il redonne des forces lors des pauses et permet de conjuguer efficacité et plaisir lors de n’importe quelle rencontre professionnelle ou amicale. Autour de la petite tasse gravite un univers de relations informelles mais aussi commerciales très importantes.
LE BAR, SYMBOLE D’ITALIANITÉ
C’est l’un des emblèmes les plus évocateurs de l’Italie, de l’italianité et de la dolce vita. Le café italien, entendu comme bar, est un lieu de vie et il possède une atmosphère que tout le monde nous envie : on y lit le journal, on y fait des paris, on y parle de sport, on y discute entre amis. C’est un rendez-vous régulier, un loisir.
L’histoire des bars en Italie a connu son moment de gloire déjà à la fin du XVIIIe siècle, quand les endroits luxueux et élitistes de l’époque ont vu passer certains des personnages les plus illustres du monde culturel, artistique et politique. À partir du Second après-guerre, le bar commence à acquérir une dimension beaucoup plus populaire, jouant un rôle unificateur de toutes les classes sociales, et c’est encore le cas de nos jours. Avec le boom économique, dans les années 1950-1960, les habitudes et les rythmes de vie changent. Il y a toujours moins de temps à consacrer au petit-déjeuner à la maison, ce qui pousse toujours plus les gens à ne prendre qu’un espresso au bar avant de se rendre au travail. Cette pratique se confirme au cours des années suivantes avec l’ajout de la sacrosainte pause-café dans la journée. La prospérité qui règne en Italie donne davantage envie de manger à l’extérieur, et les prix très abordables encouragent les consommateurs à se rendre dans les bars qui remplacent la cuisine de la maison. Ce lieu fondamental dans la vie de beaucoup s’est progressivement transformé, allant de pair avec les changements et les évolutions de notre société. Comme le disait l’écrivain et réalisateur Luciano De Crescenzo, « le café est un prétexte ».
UN LONG PROCESSUS HISTORIQUE
Selon la légende, Mahomet vantait les vertus du café en le considérant, à la différence de l’alcool, comme une boisson capable d’accroître l’acuité mentale et de favoriser le contrôle des passions grâce à la raison.
Après le siège de Vienne par les Turcs en 1683, et une fois éloigné le danger que l’Occident ne tombe entre les mains des Sarrasins, les endroits où l’on préparait un mélange sucré à base de ces grains abandonnés par les envahisseurs dans leur retraite se multiplièrent. C’est l’officier polonais Georg Kolschitzky qui pressentit le potentiel du café, boisson dont le rôle social deviendra considérable. Introduit en Europe par Prospero Alfino, un médecin botaniste vénitien, justement à cette période, le café s’est répandu à partir de Venise, première ville italienne à se doter d’établissements, plutôt luxueux, ouverts au public.
En Italie, nous avons la primauté de l’invention de l’espresso. Le brevet de la première machine de bar fut déposé en 1901 par l’ingénieur milanais Giuseppe Bezzera. Et la première machine à chaudière horizontale, la Cornuta, dessinée par l’architecte Giò Ponti, fut réalisée seulement en 1948 puis diffusée dans le monde entier. Entre ces deux inventions, en 1933, est née la Moka, en aluminium et à la silhouette octogonale, imaginée par Alfonso Bialetti, qui deviendra la cafetière domestique la plus répandue.
Dans toutes les grandes villes, il y a des endroits mythiques incontournables. Non seulement pour boire un café, mais aussi pour vivre une expérience, un moment italien en soi, dont on peut profiter pleinement. Chacun de ces endroits a ses codes, son univers, sa spécialité, sa façon de concevoir l’idée du café. Voici une petite liste de certains cafés historiques parmi les plus célèbres et anciens d’Italie.
CAFÉ FLORIAN
Situé sous les portiques de la piazza San Marco, c’est le café le plus légendaire et le plus luxueux de Venise. Il fut fondé en 1720 par Floriano Francesconi. On s’assoit au Florian surtout pour se plonger dans une expérience unique où l’histoire se respire et pour profiter de la vue de l’une des plus belles places du monde.
CAFÉ GILLI
Ce café florentin historique fut ouvert en 1733 dans la via Calzaiuoli : après plusieurs déménagements dans les années 1920, l’enseigne s’est installée sur l’actuelle Piazza della Repubblica, devenant l’un des cafés littéraires de référence pour les artistes de l’époque.
CAFÉ GRECO
C’est l’un des bars les plus célèbres et les plus anciens de Rome, fondé en 1760. Situé dans la via Condotti, à deux pas de la Piazza di Spagna, il a vu défiler de nombreux artistes et intellectuels comme Stendhal, Orson Welles, Giacomo Leopardi.
CAFÉ PEDROCCHI
Après avoir hérité de la boutique de café de son père, Antonio Pedrocchi, célèbre cafetier originaire de Bergame, fait réaliser le projet par l’architecte vénitien Giuseppe Jappelli, afin qu’il lui donne une empreinte originale et élégante. Le plus ancien et le plus luxueux café de Padoue ouvre alors, en 1831.
CAFÉ GAMBRINUS
À Naples, le point de repère de la culture et de l’art parthénopéen est, depuis 1860, ce café de la Piazza del Plebiscito. Né à la période de la Belle Époque, il attira des personnages comme Oscar Wilde, Gabriele D’Annunzio ou l’impératrice Sissi.
1 CAFÉ, 10 POSSIBILITÉS
Espresso : le plus courant.
Ristretto : peut être également appelé « corto », « court », il contient deux fois moins d’eau qu’un espresso.
Lungo : avec deux fois plus d’eau qu’un espresso.
Macchiato : surmonté d’une crème de lait qui peut être chaude ou froide.
Doppio : deux espresso dans la même tasse.
Corretto : enrichi par l’ajout de grappa ou d’autres liqueurs.
Shakerato : un espresso avec sucre et glaçons mélangés dans le shaker et servi dans un verre à Martini.
Marocchino : avec de la mousse de lait et du cacao en poudre.
Cappuccino : avec du lait chaud, de la mousse de lait et saupoudré de cacao.
Americano : allongé avec de l’eau et servi dans une grande tasse.
LA MOKA
Il y a des objets que nous portons en nous pour toujours comme s’ils étaient inscrits dans notre Histoire. L’un d’entre eux est la Moka, qui occupe une place particulière. Même si aujourd’hui les machines à café à dosettes font fureur, il est impossible d’oublier le son rauque et inimitable du café qui commence à sortir du bec de la chère vieille Moka alors que l’arôme se répand dans toute la maison… Cela, aucune machine à café automatique ne peut le donner.
C’est l’entrepreneur et inventeur Alfonso Bialetti qui, à la recherche d’une idée pour faire à la maison du « café comme au bar », la créa. C’était en 1933, alors qu’il observait sa femme faire la lessive dans une sorte de marmite dans laquelle, par ébullition, en passant par un tube, un jet d’eau et de savon se déversait sur le linge sale. Une sorte de machine à laver primitive. Bialetti eut l’idée de faire la même chose pour préparer du café. C’est ainsi que naquit la Moka, du nom de la ville du Yémen d’où provient l’une des meilleures qualités de café. Ce fut une véritable révolution. À partir de 1946, la Moka entra dans les maisons de tous les Italiens, de tout le monde et, au fil du temps, dans celles du monde entier. Pour sa beauté et son élégance, ainsi que pour son utilité, la Moka, expression du meilleur design italien, est exposée au MoMA de New York.
LE CAFÉ SUSPENDU
Il fait partie de la générosité et de la solidarité du peuple napolitain. Il consiste à payer deux cafés, un pour soi et le second pour un éventuel autre client du bar qui n’aurait pas les moyens de s’en offrir un. C’est, en un sens, un secours mutuel anonyme, un café offert à l’humanité pour partager sa joie d’exister.
LE BAR, UNE ÉGLISE LAÏQUE
Le bar est une institution qui accompagne l’Italie depuis toujours. Une sorte d’église laïque dans laquelle se jouent les rites qui rythment la journée des Italiens : le café du matin, le café et le pousse-café en début d’après-midi, l’apéritif le soir avant de dîner, ou bien encore un verre et deux bavardages, souvent des commérages, avec les amis de toujours.
Autour d’une tasse de café ou d’un amer pour faciliter la digestion d’un repas un peu trop copieux, l’avocat et le maçon, le médecin et l’ouvrier, le jeune et le vieux sont tous les mêmes.
Même regard furtif jeté sur le journal posé sur le frigo à glaces ou sur une table ; même habitude de commenter la nouvelle du jour : la chute de l’énième gouvernement, le vol commis dans le village voisin, le scandale des transports locaux, l’équipe de football favorite qui a gagné ou perdu. On échange toujours quelques mots, même avec des gens que l’on n’aurait sans doute jamais salués hors du bar.
Le bar est, disons-le, le temple du lieu commun par excellence. Ce n’est pas un hasard si l’on parle de « discours de comptoir », pour dire de quelqu’un qu’il parle à tort et à travers de n’importe quel sujet, depuis la météo jusqu’au football, de la politique à la religion, de la sociologie à l’horoscope, des problèmes de ses enfants à l’école et de ceux avec sa belle-mère.
Vous l’aurez compris, ce qu’il y a de plus important dans les « discours de comptoir », c’est que les interlocuteurs ne sachent rien des sujets à propos desquels ils se disputent. Surtout quand il y a au milieu un verre de vin ou un amer, un spritz ou une eau-de-vie. Mais attention, en Italie, dans les bars, on ne se dispute qu’à coups de mots. Et tout de suite après, on redevient amis comme avant.
SAVIEZ-VOUS QUE…
« Un cappuccino e un cornetto par favore » et voilà, le petit-déjeuner italien. Cornetto est le mot par lequel on appelle le croissant en italien. Mais tout le monde ne sait peut-être pas que le cappuccino et le croissant n’ont pas été inventés en Italie mais à Vienne. La naissance du croissant remonte également à l’époque de l’occupation turque de Vienne. C’est lorsque les Turcs ont été chassés de la ville que les boulangers de Vienne, pour fêter l’événement, ont inventé le Kipferl, un gâteau à base de farine, d’œufs, de sucre et de levure, et lui ont ironiquement donné la forme d’un croissant de lune, symbole présent sur le drapeau turc.
LE LIVRE
Le génial et très amusant Bar Sport, le premier livre de Stefano Benni, était consacré au monde du bar, à ses personnages souvent surréalistes, aux histoires qui y sont racontées et qui deviennent des légendes. Sorti en 1976, c’est un concentré d’humour de la première à la dernière page et le bar finit par se transformer, de lieu physique, en un lieu de l’âme. Le Bar Sport rapproche et fond en un même univers, en une seule grande scène de famille réunie autour d’un feu, autour de la chaleur d’une identité sociale.
LA MUSIQUE CHANTE LE BAR
Peut-être cela semble-t-il exagéré pour les Français, mais le bar, en Italie, a été chanté à toutes les époques et à toutes les sauces. La musique italienne est pleine de morceaux dans lesquels, dans un vers au moins, apparaît le bar ou ce qui se fait au bar.
Voici quelques exemples : Gino Paoli et ses 4 amici al bar, Roxy Bar de Vasco Rossi, sans parler de l’invitation de Ligabue dans sa chanson Certe notti à se retrouver « un jour chez Mario » où il est sous-entendu que Mario est le barman-propriétaire du bar. Mais la chanson qui décrit le mieux le bar et les personnes qui le fréquentent est Il Riccardo, de Giorgio Gaber (1939-2003). Le texte est un véritable hymne à ce lieu fréquenté depuis toujours par les mêmes personnes, un endroit où l’on s’ennuie parfois, mais qu’on ne peut s’empêcher de fréquenter parce que le soir, après le dîner, faire un saut au bar « pour voir qui il y a » est presque un devoir. On découvre dans la chanson un aperçu d’(arché)types de bar, depuis le dépressif jusqu’au voyou, du footballeur qui se la raconte jusqu’au patron du bar qui vous regarde de travers jusqu’à ce que vous consommiez. Et enfin, il y a lui, « il » Riccardo, « qui joue seul au billard. Il n’est pas d’une grande compagnie, mais c’est le plus sympa qui soit ». La chanson date de 1969, le monde a bien sûr changé, mais le bar est resté le même.
TRIESTE
Trieste est la ville italienne qui a hérité le plus de la coutume viennoise de s’accorder une longue pause quotidienne au bar. La ville compte trois cafés historiques. Le plus ancien, le Tommaseo, ouvert en 1825, orné de merveilleux miroirs, fut le premier à faire entrer dans la ville les glaces et l’illumination au gaz. Ensuite, le Caffè degli Specchi, le salon triestin depuis 1839, ainsi appelé parce que depuis son ouverture, il est d’usage de graver les événements historiques les plus importants sur des miroirs ou des plaques de verre dont malheureusement seuls trois exemplaires ont survécu. Pour finir, le San Marco remonte à 1914, célèbre surtout pour avoir été l’un des principaux lieux de rendez-vous des intellectuels de la ville, parmi lesquels, Umberto Saba, Italo Svevo et James Joyce. C’est aussi un restaurant et une librairie.
Comment commander un café à Trieste
Nero = café espresso
Nero in B = espresso dans un verre
Capo = café macchiato
Capo in B = macchiato dans un verre
Gocciato = café avec un peu de mousse de lait
Caffelatte = cappuccino
Viennese = espresso long, crème chantilly et copeaux de chocolat
Morlacco = café, crème pâtissière, liqueur Morlacco à la cerise et crème
LA CAFETIÈRE NAPOLITAINE
La mythique « napolitaine », fierté parthénopéenne et protagoniste de nombreuses œuvres de Edoardo De Filippo, n’est pas une invention italienne mais française, celle d’un Parisien appelé Morize, et elle remonte à 1819. La « cuccumella », ainsi surnommée par les Napolitains, qui signifie « pot en terre cuite », est moins répandue que la Moka mais elle possède, elle aussi, de nombreux fidèles. Elle est constituée de deux réservoirs dotés d’un manche : un pour l’eau dans la partie basse, et un avec un bec verseur dans la partie supérieure. Au centre, un filtre pour le café moulu. Dès que l’eau bout, il faut retourner la cafetière d’un coup sec de façon à ce que l’eau, grâce à la gravité, descende et filtre lentement le café pour se déposer dans le récipient au bec verseur. Une fois que l’eau est complètement descendue, le café est prêt.
EN CUISINE
Goût de terre, d’agrume, toasté, vanillé, de caramel, épicé, floral, aux notes de cacao, vert ou très intense. Le café est souvent comparé au vin avec des centaines de composantes aromatiques, parmi lesquelles le cassis, la coriandre, les clous de girofle, le pain grillé, le bois, le tabac ou les fruits secs. Comme le chocolat, le café est de plus en plus utilisé dans les recettes salées en tant qu’exhausteur de goût. C’est un classique en ce qui concerne les glaces, les desserts, les granites, les gâteaux et les flans, à l’arôme incomparable souvent exalté par la crème et le cacao. Le tiramisu est son plus grand représentant. Mais il est également utilisé en version salée, pour la complexité de son bouquet aromatique et sa note amère typique. Il se marie très bien avec des ingrédients sucrés comme les pommes de terre, la betterave ou la citrouille, mais aussi avec des bases plus neutres comme le riz ou les pâtes. Il faut l’essayer avec la viande de porc, il s’associe très bien au gras parce qu’il l’équilibre. Il est donc parfait avec des œufs, du foie gras, du fromage et il est surprenant avec les crevettes et les coquilles Saint-Jacques. Il faut cependant faire très attention au dosage. De façon générale, plus un café est léger, plus il aide à dégraisser ; plus il est fort et plus il a de caractère, mieux il s’accompagne de viandes goûteuses comme le gibier ou le pigeon. Il s’accorde également très bien avec des aliments toastés ou fumés, notamment la pancetta, le speck et le bacon.