Nous sommes au cœur de la saison propice à la dégustation de tous les agrumes, les protagonistes des parfums hivernaux. Colorés, variés, juteux et à la saveur intense, dotés d’un extraordinaire apport en vitamines, ils représentent une richesse inestimable qui place l’Italie au sommet du monde.

ALESSANDRA PIERINI 

À la question posée par Goethe : « Connais-tu le pays des citronniers en fleur ? Dans le feuillage obscur flambe l’orange d’or, […] le connais-tu ? », tous ceux qui ont voyagé en Sicile pourront répondre avec force : « Évidemment ! »

Connus depuis l’Antiquité, appartenant au genre citrus et à la famille des Rutacées, les agrumes, nom dérivé du latin tardif acrumen (aigre), sont originaires d’Inde et d’’Extrême-Orient, et c’est grâce au climat méditerranéen exceptionnel, avec des amplitudes thermiques et des précipitations rares, qu’ils ont acquis les qualités organoleptiques que nous connaissons et apprécions aujourd’hui.

Il existe plusieurs hypothèses sur l’introduction des agrumes en Europe. On sait avec certitude que le citrus (qui correspondait très probablement au cédrat) était déjà connu à l’époque de l’Empire romain et que les Arabes introduisirent en Sicile, entre le XIe et le XIIe siècle, surtout pendant la période de leur domination, certaines variétés d’oranges et de citrons qu’ils continuèrent à cultiver avec soin et maîtrise. Dès lors, les agrumes n’ont jamais cessé de prospérer sur l’île méditerranéenne et au-delà : les régions méridionales comme la Calabre, la Campanie, la Basilicate, les Pouilles et d’autres plus septentrionales au microclimat favorable, comme la Ligurie et le lac de Garde, sont toutes des terres qui représentent un véritable berceau pour les agrumes. Le climat, le vent et les hivers tempérés favorisent la croissance de ces fruits qui sont les stars de l’hiver et que l’on peut déguster à tout moment de la journée, seuls ou comme ingrédients dans la cuisine et la pâtisserie.  Selon les variétés, on commence à les trouver dès les premiers froids, à partir du début du mois de novembre, jusqu’à la fin du mois de mars.

Le premier arrivé d’Orient a été, comme dit précédemment, le cédrat, l’un des trois ancêtres de la famille avec le pomélo et la mandarine. C’est de ces trois fruits que proviennent, par différents processus d’hybridation, tous les autres agrumes, parmi lesquels on peut distinguer les trois groupes suivants, typiques de nos régions, en fonction de leurs « parents » et de leur origine :

Citrus x medica : il s’agit d’hybrides dérivés du cédrat ; ils incluent le citron et le pompia.

Citrus x reticulata : ce sont des hybrides dérivés du mandarinier ; ils incluent la clémentine, l’orange amère, la bergamote, la bigarade.

Citrus x maxima : sont des hybrides dérivés du pomélo ; ils incluent le mapo, le pamplemousse et l’orange douce.

Ce que nous pouvons constater, c’est que les « souches » sont les moins consommés et, par conséquent, les plus difficiles à trouver aujourd’hui. En Italie, la culture du pomélo, par exemple, est sporadique et limitée aux zones les plus chaudes de la Sicile. Au fil du temps, ces espèces de base se sont diversifiées, favorisées par plusieurs conditions, telles que la sélection naturelle, l’hybridation, les mutations spontanées dues au climat et, surtout depuis le XXe siècle, par la sélection de nouvelles variétés plus appréciées par les consommateurs.

Le cédrat est un fruit jaune qui peut peser jusqu’à plus de 1 kg, atteindre une longueur de 30 cm et être, selon la variété, soit très acide (comme le diamante originaire de Calabre) qui sera parfait pour la confiserie, soit très sucré (comme le vozza vozza sicilien) à consommer cru. À partir de l’écorce, on obtient une essence renommée, et le jus est excellent comme boisson désaltérante. Le cédrat, l’un des agrumes les plus délicats, se marie volontiers avec les crustacés, les mollusques, les anchois et les rougets pour leur ajouter une élégante complexité.

Parfait pour parfumer une pâte sucrée aux amandes et à la ricotta, la variété la plus douce donnera les meilleurs résultats coupée en fines tranches comme un carpaccio et assaisonnée avec de l’huile d’olive, des olives, de la ciboulette et de l’origan. On peut en faire un sirop, une liqueur, de délicieux bonbons, des gâteaux ou des tartes et, dans le sud de l’Italie, on trouve le cédrat sous la forme d’un fabuleux granité.

Sous le nom de Cedrata, une boisson gazeuse jaune-vert, créée en 1886 par l’entreprise lombarde Tassoni, est même commercialisée aujourd’hui.

La mandarine est l’un des agrumes les plus petits, de couleur orange pâle, avec une pulpe très juteuse, aigre-douce, particulièrement aromatique, parfumée et riche en pépins, et c’est malheureusement une caractéristique qui en a fait un agrume moins populaire ces dernières années, remplacé par la clémentine, issue d’un croisement entre la mandarine et l’orange amère, et le mandarancio, issu d’un croisement entre la mandarine et l’orange, tous deux presque dépourvus de pépins. La mandarine la plus connue pour ses qualités organoleptiques, et qui fait partie des Sentinelles Slow Food depuis quelques années, est la délicieuse mandarine tardivo di Ciaculli. Cette variété, appelée marzuddu en sicilien, c’est-à-dire qui mûrit en mars par opposition à la précoce que l’on trouve en décembre, doit son nom à la petite ville de la région de Palerme où elle est cultivée. Sa pulpe, particulièrement juteuse et sucrée, est très utilisée dans les glaces, les pâtisseries et la production de liqueurs. Petite anecdote, chez moi, la coutume voulait que l’on utilise des écorces de mandarines pour marquer les numéros pendant la tombola qui clôturait le repas de Noël.

Le pomélo est le seul agrume dont l’origine géographique n’est pas asiatique, mais centro-américaine. Longtemps assimilé au pamplemousse, Citrus maxima, il a été identifié au niveau botanique en 1830 sous le nom de Citrus paradisi, nom qui a été légèrement modifié en 1950 pour devenir Citrus x paradisi, son nom botanique actuel.

Aujourd’hui, on admet la théorie selon laquelle les pomélos sont les véritables Citrus originels, tandis que les pamplemousses sont des hybrides anciens, c’est-à-dire un croisement entre le pomélo et l’orange douce. Le pomélo a transmis le goût et la jutosité (mais pas le poids, puisqu’il peut atteindre 10 kg !), tandis que l’orange a apporté le volume plus petit et la forme légèrement aplatie. Ils peuvent accompagner, avec leur touche d’amertume, le poulet rôti, le filet de porc et de bœuf.

L’oranger amer ou bigaradier, un croisement entre le pomélo et la mandarine, était l’arbre classique utilisé comme plante ornementale dans les jardins orientaux et il est aussi arrivé en Sicile avec les Arabes. Son fruit, le Citrus aurantium, n’était pas comestible tel quel à cause de son goût très fort et amer, mais il était utilisé comme plante médicinale, essence ou pour préparer des liqueurs ou des confitures. C’est cependant la création de l’orange douce, Citrus x sinensis, qui a fait exploser le marché des agrumes. Son origine est beaucoup plus incertaine, attribuée pour certains au navigateur portugais Vasco De Gama, comme en témoigne le surnom très explicite qui était donné à cette orange en Sicile jusqu’à il y a quelques années de portogallo. En Calabre, en Campanie et dans les Pouilles, elle est appelée purtualli, au Piémont elle devient portugaj, à Bergame portügàl, à Ferrare portogàl et dans le Salento portacallu.

Selon d’autres sources, l’introduction de l’oranger doux sur le territoire italien serait à attribuer aux navigateurs génois qui utilisaient les côtes de la mer Noire comme point de ralliement avec les caravanes en provenance de Chine et d’Inde pour des échanges commerciaux variés. Cela expliquerait la diffusion des plantations d’agrumes en Ligurie, le long des rives du lac de Garde, en Toscane et sur la côte amalfitaine. Elles n’ont toutefois pas été favorisées par le climat continental, peu adapté à leur acclimatation qui a souvent nécessité de recourir à des serres.

À la fin du XIXe siècle, la majeure partie de la production et de la commercialisation se déplace en Sicile, favorisée par une situation stratégique, un climat doux et le progrès des transports, ce qui a entraîné le développement économique et commercial de la zone et une importante source de revenus pour l’ensemble de la région. Parmi les variétés les plus répandues figurent la Tarocco, la Sanguinello et la Moro, qui sont protégées en Sicile par la dénomination arancia rossa di Sicilia IGP, à la chair rouge pourpre, avec beaucoup de jus, très sucrées, intenses avec une légère note acidulée de fruits rouges. Parmi les oranges « blondes », très douces et parfumées, à la chair orange plus ou moins intense, on trouve la Belladonna et la Navelina. En plus d’être utilisées comme fruits frais ou en pâtisserie, ces oranges sont également employées dans des recettes salées, il suffit de penser au célèbre canard à l’orange ou au risotto à l’orange sanguine. Les nombreuses salades d’hiver dont ce fruit fait partie sont également excellentes.

Le citron, citrus limon, est le véritable or jaune de la nature. Ses propriétés thérapeutiques sont miraculeuses et ses utilisations innombrables. L’Italie est véritablement considérée comme la terre des citrons : il en existe une quinzaine de variétés et les régions où se concentre la plus forte production sont la Sicile, notamment avec le citron Interdonato di Messina IGP, le citron Siracusa IGP, le citron de l’Etna IGP et la Campanie avec le citron de Sorrento IGP, le citron Sfusato Costa d’Amalfi IGP (Arche du goût Slow Food) et le citron Pane ou citron de Procida ou citron Gigante. Fait remarquable, le citron est le seul agrume disponible toute l’année, la plupart des variétés, celles qui appartiennent au cultivar femminiello – en référence à la grande fertilité de la plante – fleurissent plusieurs fois et sont surnommées « quatre saisons ». La principale période de floraison se situe au printemps, avec la production des citrons d’hiver. Selon la période de récolte, ils sont appelés primofiore, récoltés en automne/hiver, bianchetto, au printemps, et verdello en été. Contrairement à d’autres agrumes, les citrons peuvent également mûrir une fois détachés de la plante.

Parmi les recettes italiennes à base de citron qui ont fait le tour du monde, il y a notamment le Limoncello, liqueur typique de la côte amalfitaine, la delizia al limone, un gâteau créé en 1978 par le pâtissier Carmine Marzuillo pour être le symbole de Sorrente, et les spaghetti al limone, plat qui, dans son extrême simplicité, laisse le souvenir d’une saveur inimitable. 

La bergamote, Citrus bergamia, est, à elle seule, l’essence de la Calabre. Du turc berg a mudi, poire du Seigneur, qui est aussi son surnom, elle a une forme semblable à celle d’une orange et la couleur d’un citron, et elle représente l’excellence italienne dans le monde. D’une saveur unique, âcre, intense, légèrement amère et très parfumée, la bergamote pousse sur seulement 100 km du littoral calabrais, la bande côtière de Reggio Calabria donnant sur la mer Ionienne, qui représente 90 % de la production mondiale. Autrefois, son écorce était exportée dans le monde entier pour fabriquer des parfums et aromatiser le célèbre thé Earl Grey, mais depuis peu, elle est devenue un ingrédient très recherché pour la pâtisserie, les liqueurs et les médicaments.

Connus et reconnus pour leurs qualités nutritionnelles, les agrumes parfument, assaisonnent et rehaussent nos plats et ils se prêtent à de nombreuses recettes sans rien gaspiller. Le jus peut être utilisé pour toutes sortes de desserts, pour parfumer la viande et le poisson, pour préparer d’excellentes mayonnaises, des sauces et des vinaigrettes ; l’écorce peut être utilisée pour parfumer sauces, crèmes et risottos, l’important est de la râper sans utiliser la partie blanche car elle est amère, et de toujours utiliser des fruits biologiques dont l’écorce est comestible ; la pulpe peut être consommée nature ou épluchée crue pour les salades, des carpaccios, des confitures, des liqueurs et des sorbets.

Saviez-vous que les feuilles d’agrumes peuvent également être utilisées ? Elles peuvent aromatiser les viandes ou les poissons simplement en les enveloppant dans les feuilles parfumées avant de les faire cuire.

Alors, mangeons les agrumes sans modération pour leur versatilité et leurs nombreuses vertus nutritionnelles, anti-inflammatoires, digestives, antioxydantes, qui en font un élixir de longue vie.