Se jeter à l’eau… que de fois cette expression a été galvaudée. Pourtant, elle garde toute sa signification incertaine, angoissante même. Quand il n’y a plus rien à faire ou alors quand on estime que c’est le bon moment sans vraiment en avoir la certitude. Qu’ont pensé ces hommes, femmes et même enfants venus d’Erythrée quand leur bateau a chaviré. « On a déjà réalisé des interviews pendant une traversée de la Méditerranée avec des gens qui hurlaient de peur » raconte le rédacteur en chef de Radio Erena, une petite station indépendante basée à Paris qui tente chaque jour d’émettre vers l’Erythrée.
Selon l’ONU, 3000 personnes s’efforcent chaque mois de fuir ce pays d’à peine cinq millions d’habitants. Le bateau qui a fait naufrage le 3 octobre dernier transportait 545 personnes. Plus de 300 d’entre elles sont mortes noyées. Ces chiffres font froid dans le dos, ils symbolisent le paroxysme (si tant est qu’il puisse y en avoir un dans ce cas) de ce phénomène migratoire qui secoue depuis des années la petite île italienne de Lampedusa. Là, ce sont 5000 habitants qui vivent, poussés à bout, par un sentiment d’abandon et d’injustice sans frontières.
Un ressentiment dans l’île
Des îliens partagés entre la volonté réelle d’aider ces pauvres gens qui viennent toucher l’Europe mais aussi préoccupés par leur propre quotidien. En hiver, les ferries ont du mal à accoster avec une mer agitée, privant les autochtones de produits de premières nécessités alors que les réfugiés, eux, reçoivent leur nourriture par avion. « Cela génère un ressentiment dans la population » avoue une habitante à l’Agence France Presse.
L’autre colère des résidents de Lampedusa se niche dans le fait de voir de l’argent arriver pour prendre en charge les immigrés alors que les écoles tombent en ruine et que les services publics manquent cruellement ou sont loin de tout. Sans parler de la loi italienne qui s’abat sur les pêcheurs locaux lorsqu’ils recueillent sur leur bateau un naufragé à bout de forces. Situations remarquablement dépeintes dans le film « Terra ferma » d’Emanuele Crialese.
Naturalisation posthume ?
Au-delà des drames humains de ces africains tentant le tout pour le tout pour quitter leur continent, c’est bien là l’ensemble de la politique migratoire européenne qui doit être repensée. Comment faire peser sur les occupants d’un bout de roche perdue au milieu des flots la responsabilité de tant de vies ? En visite sur l’île ce mercredi, José Manuel Barroso et Enrico Letta se sont fait huer par la population. « L’Europe ne peut pas se détourner de Lampedusa » a déclaré le président de la Commission Européenne. Le chef du gouvernement italien, lui, a annoncé des funérailles nationales pour les victimes. Une sorte de naturalisation posthume…
Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.