Ultima Generazione est un groupe italien de désobéissance civile né en 2021. Non-violent, essentiellement animé par des jeunes, il fait partie du réseau européen RESEAU A22. Son objectif est celui de sensibiliser l’opinion publique sur les catastrophes engendrées par le réchauffement climatique. Ses actions en Italie font les choux gras de journaux. Il suffit de penser au barbouillage du Palais du Sénat, aux blocages autoroutiers sur le périphérique de Rome, à l’encollage à l’Aquarium de Gênes ou à celui du Printemps de Botticelli à Florence, à la soupe lancée sur la vitre protectrice d’un tableau de Van Ghogh ou au barbouillage du Palazzo della Signoria à Florence. Nous avons rencontré Delfina, une activiste de 29 ans qui appartient à Ultima Generazione.
À la fin du mois de mai, alors que nous sommes en train d’écrire ces lignes, une vidéo qui montre deux activistes d’Ultima Generazione en train de se verser de la boue dessus devant le Palazzo Madama, siège du Sénat italien, est devenue virale. Un clair renvoi à la boue des inondations qui ont submergé l’Émilie-Romagne le 17 mai dernier, indicateur d’une urgence climatique toujours plus difficile à ignorer. Et c’est seulement la dernière d’une longue série d’actions démonstratives de ce genre : le 21 mai, les manifestants pour le climat, rebaptisés « éco-rebelles », avaient jeté dans la fontaine de Trevi à Rome un liquide noir (du charbon végétal) en soutien à la campagne « Non paghiamo il fossile » (nous ne voulons pas payer pour l’énergie fossile). Des gestes qui ont provoqué colère et indignation chez beaucoup. Mais quand on demande à Delfina, activiste d’Ultima Generazione âgée de 29 ans, diplômée de psychologie, s’il ne faudrait pas changer de mode opératoire, sa réponse est catégoriquement négative : « Nous utilisons de façon stratégique le courage d’être détestés. Nous ne recherchons pas le consensus, nous voulons au contraire être sur toutes les lèvres pour faire émerger nos idées, pour rester gravés et arriver au cœur des gens. » Parce que « les manifestions effectuées de façon légale, les cagnottes, les pétitions pour le climat n’ont pour l’instant mené nulle part. » En bref, les jeunes activistes pour le climat sont las de ne pas être écoutés. « Nous ne sommes pas une société qui se construit sur la base de l’écoute, mais sur celle du jugement – dit Delfina – nous ne sommes pas habitués à comprendre comment engager un dialogue constructif. S’il y avait une écoute, nous ne devrions pas recourir à ce type d’actions ».
Actions dont s’est rendue protagoniste Delfina elle-même. Elle nous raconte avoir participé au blocage de la circulation sur le périphérique de Rome et avoir été parmi ceux qui se sont élancés sur la route pour bloquer le Tour d’Italie en signe de protestation contre les subventions publiques destinées aux énergies fossiles. Et elle ne cache pas sa frustration : « Quand il y avait le Covid, la politique a accéléré tous les processus pour endiguer le virus. Pour l’urgence climatique, par contre, on ne fait rien, comme si on ne parvenait pas à intérioriser le problème. Et ce parce que le sujet est très complexe et qu’il conduirait à révolutionner tous les aspects de notre société. Nous ne sommes pas prêts. » Résultat : au lieu de prêter attention aux avertissements légitimes des jeunes sur le climat, on préfère annuler toute possibilité de débat en s’arrêtant au geste de protestation provocateur. Ce qui est un problème, étant donné que grandit toujours plus parmi les jeunes “l’éco-anxiété”, c’est à dire l’angoisse relative au climat et aux crises écologiques qui surgit quand on perçoit que l’humanité est condamnée. » Selon une étude publiée par Lancet en 2022, qui a concerné 10 000 jeunes entre 16 et 25 ans provenant de 10 pays de touts les continents, il ressort que 45 % des interviewés sont négativement conditionnés par le climat dans leur vie quotidienne, et 75 % d’entre eux ont admis avoir peur du lendemain. Malgré tout, la nécessité de cette bataille est encore loin d’être reconnue. Il suffit de penser à ce qui s’est produit pour Laura, Davide et Alessandro, les trois activistes de Ultima Generazione arrêtés le 2 janvier dernier pour délit de « dégradation aggravée », pour avoir sali avec de la peinture lavable le Palazzo Madama, toujours dans le but de mettre en lumière le réchauffement climatique. « Une bonne chose », avait alors exulté le vice Premier ministre et leader de la Lega Matteo Salvini sur Twitter, ignorant totalement le message premier des jeunes activistes. « Punir ceux qui s’exposent, comme nous, est ce qu’il y a de plus facile, nous sommes le bouc émissaire – dit Delfina – ce qui est plus difficile, c’est d’intervenir véritablement et de s’engager dans ce que nous demandons. » Or le gouvernement qui est aujourd’hui au pouvoir en Italie n’arrange rien. « Ce sont des personnes qui ont fait de la bienséance une bataille – conclut Delfina amère. Je me demande si avec un autre gouvernement plus proche de nos sujets cela aurait été différent. Même si de toute façon, jusqu’à aujourd’hui, personne ne nous a jamais écoutés sérieusement. Ni la droite ni la gauche n’ont jamais véritablement affronté la crise climatique et écologique. »